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Le chant du Séquoia

Le chant du Séquoia

13-15 ans - 47 pages, 10666 mots | 1 heure 18 minutes de lecture | © Éditions du Pourquoi pas, 2023, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Le chant du Séquoia

13-15 ans - 1 heure 18 minutes

Le chant du Séquoia

Le jeune Parker, Californien d’origine cherokee, rêve de devenir chanteur. Maria Rosa, vieille brésilienne d’origine palikur, a été une des premières défenseures des droits des peuples d’Amazonie. C’est au travers des voix de nos deux héros et de leurs parcours que nous emmenons le lecteur jusqu’au Rassemblement des Gardiens de Mère Nature (la première grande assemblée s’est déroulée en 2017, en présence de Raoni à Brasilia en réunissant près de 80 peuples).

"Le chant du Séquoia" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Le chant du Séquoia

Le chant du Séquoia écrit par Nathalie et Yves-Marie Clément illustré par Emma Guinot aux éditions du Pourquoi pas


Le chant du Séquoia
Première Partie Parker
1. Ma décision est prise. J’entre dans la cuisine. Maman est à genoux en train de poser des pièges à cafards sous l’évier. Je prends une bonne inspiration et je lâche d’un coup : — Je chanterai plus jamais ! Maman relève la tête. — Dans la vie faut jamais baisser les bras mon garçon ! J'attendais pas d’autre réponse de sa part. C’est ma première fan et sans doute la seule. J’habite à Woodlake, Comté de Tulare, Californie. J’ai commencé à chanter quand j’étais tout petit avant même de parler. Maman dit que j’ai toujours chanté même quand j’étais accroché au bout de son sein. Je babillais déjà des petits airs.
Aujourd’hui, j’ai mes douze ans. Moi, je chante tout ce qui me passe par la tête et surtout la variété, les chansons à la mode que j’écoute sur YouTube ou à la télé. Pour la mémoire, je ne peux pas me plaindre. J’en ai assez pour retenir les paroles par cœur. Ah oui, au fait, en parlant de par cœur, je m’appelle Parker, et jusqu’à hier et ce maudit concours de chant organisé à l’école élémentaire de Castle Rock, je voulais devenir chanteur. C’était mon tour. Et là, mon rêve s’est effondré juste après le premier couplet : des types ont sifflé dans la salle. Après, ils se sont levés et ils ont hurlé : « Eh, gras du bide, grosse casserole, ferme ton couvercle, l’eau va déborder. Tais-toi, le Peau-Rouge ! Retourne dans ta réserve ! » Des gars de mon quartier se sont levés aussi. Une chaise a volé. Et ça a été la bagarre générale. Après, la police est venue calmer ça et moi je suis rentré à la maison en larmes. Ce concours de chant raté et les sifflets et les insultes vont me rester longtemps en travers de la gorge. Du coup, j’ai arrêté de parler et jusqu’à ce matin, je me suis renfermé dans ma coquille. Mon père est bien content. Lui, il dit que chanter c’est pas une occupation et que je ferais mieux de travailler un peu plus au collège si je veux pas devenir un raté. Et bla bla bla et bla bla bla. Il me parle bien sûr de la réussite de Malcolm, mon grand frère déjà à l’université, sportif et scientifique. Tout ce que je suis pas. Maman, qui calme toujours les discussions, s’essuie les mains sur son tablier, m’embrasse sur la tête et dit : — J’ai appelé Grand-pa. Demain, il descend de sa montagne pour venir te chercher. Ça va te changer les idées de passer les vacances de printemps avec lui ! J’aime bien aller chez Grand-pa. Au moins lui, il me prend pas la tête et il me fiche la paix. C’est tout ce que je demande.
2. Casquette enfoncée jusqu’aux oreilles, Grand-pa s’accroche au volant de son pickup vert tout cabossé. C’est un vieux Ford qui vibre dans les virages ou quand Grand-pa appuie un peu trop fort sur l’accélérateur. On roule vers sa montagne, la Sierra Nevada. Je lui raconte le concours de chant et les insultes. — Pourtant, moi qui t’ai déjà entendu chanter, je trouve que tu as une belle voix. — C’est pas vrai, Grand-pa. Je suis qu’un gros nul. — Qu’est-ce qui te fait dire ça ? — Un des types m’a traité de Peau-Rouge et de gras du bide, et un autre m’a dit de retourner dans ma réserve ! — Tu sais bien qu’une de tes ancêtres était cherokee. Alors toi aussi, Parker, tu es un Cherokee, je te l’ai dit cent fois ! Et être cherokee, c’est pas nul. — Je veux plus être un Cherokee. Si c’est pour me faire traiter, c’est pas la peine. — Il y aura toujours des gars pour t’insulter, fiston. Ce sont des racistes qui ne rêvent que d’une chose. — Quoi, Grand-pa ? — Les États-Unis aux Blancs et rien qu’aux Blancs ! Leurs ancêtres ont massacré nos ancêtres et quelque part, ils aimeraient bien terminer le travail. Tu serais noir, chinois ou hispano, ce serait la même chose. Petit à petit, la route se rétrécit et devient bientôt une piste au cœur de la forêt. À partir de là, j’ai plus envie de parler. Mais j’observe. Dans un virage, Grand-pa est obligé de piler pour laisser passer un coyote et ses petits. J’adore. Ça grimpe de plus en plus et Grand-pa doit rétrograder. Les vibrations du pickup font trembler ses bras. — Un jour fiston, il va falloir que tu prennes le volant. Je commence à fatiguer sur cette piste. Conduire ! C’est drôle, avec Grand-pa, tout est toujours possible. On emprunte maintenant un dernier tronçon qui mène chez lui. Pratiquement personne vient jamais ici et l’herbe au milieu du chemin brosse le châssis.
Les branches basses des pins pignons grincent le long de la carrosserie. Au bout du chemin, c’est la clairière de Grand-pa. Mon père dit que ça ressemble à un dépotoir à ciel ouvert. Mais moi, ça me plaît. Combien de fois j’ai joué dans les carcasses de voitures et combien de cabanes j’ai construites avec toutes les palettes. Pourtant, aujourd’hui, j’ai une petite appréhension. Ici, pas de réseau et pas de télé non plus. Pour la première fois, j’ai peur de m’ennuyer. On entre dans le mobil-home rafistolé de Grand-pa. Souvent, je me demande comment il a pu atterrir ici. — Va nous chercher du bois, me dit Grand-pa. Je me laisse tomber dans le canapé défoncé et je sors mon portable pour vérifier le réseau au cas où. — Faut que je te répète ? — C’est bon, j’y vais. Côté réseau de toute façon, c’est mort. Je m’arrache du canapé, sors du mobil-home et prends la brouette devant la porte. Je vais jusqu’à l’appentis où Grand-pa entasse le bois sec. Trois poules sont nichées dessus, je les chasse en faisant de grands gestes. Elles s’envolent en caquetant fort pour signaler leur mécontentement. Je commence à entasser des bûches tout en fredonnant un air qui me passe par la tête. — Je croyais que tu avais dit à ta mère que tu ne chanterais plus jamais. Je sursaute. J’ai pas entendu Grand-pa arriver dans mon dos. — Quoi ? C’est… c’est pas pareil. Quand je suis tout seul, c’est plus fort que moi. Grand-pa relève la visière de sa casquette. — C’est plus fort que toi. Tu t’es jamais demandé pourquoi ? — Ben non, jamais. Il prépare un fagot de petit bois. — C’est peut-être bien parce que tu as des choses à dire. Des choses très fortes, enfouies au fond de toi et qui ont trop de mal à sortir. Alors avec le chant, c’est plus facile. Il y en a, c’est avec le dessin ou la danse. Toi, c’est avec le chant. Moi, je peux t’aider à apprivoiser ta voix si ça te dit. J’en connais un rayon, tu sais. Justement, quand ta mère m’a appelé, j’étais en train de réparer un tambourin. Il est dans la cuisine. Dans le mobil-home, Grand-pa me montre l’instrument. La peau tendue sur le bois est presque transparente. Il me le passe.
— Vas-y ! Je tape dessus du bout des doigts. — Plus fort ! Donne le rythme ! Je tape un bon coup. Ça résonne presque comme à l’église. — Hé, vas-y mollo quand même, petit gars. C'est sensible cet instrument. Tu sais, il y a longtemps, nos ancêtres l’utilisaient pour communiquer avec la nature. — Avec les animaux ? — Oui, mais aussi avec les plantes. Et paraît-il ça marchait. Il me reprend le tambourin et le pose sur une étagère entre les assiettes et la passoire. — Et toi, tu chantes, Grand-pa ? — Quand j’avais ton âge, je chantais. J’ai même enregistré une cassette avec des copains. Je crois que je l’ai toujours. Elle doit être dans le placard de la chambre de ta mère. Enfin, ta chambre parce qu’elle, elle l’a pas utilisée souvent cette chambre. Fouille dans les cartons si tu as envie. Mais maintenant, parlons de choses sérieuses : tu veux que je t’écoute chanter ? Je regarde Grand-pa dans les yeux. Je sens bien qu’il aimerait m’aider et tout ça. Et moi,j’aimerais ne pas lui faire de peine. Mais la chanson pour moi, c’est fini. Il allume le gaz pour réchauffer un de ces bons petits plats qu’il m’a préparé. Grand-pa, il dit toujours qu’il est pas question de manger toutes ces cochonneries emballées qu’on nous vend dans les supermarchés. Et il termine en disant : « Les poulets à la Javel et les hamburgers aux hormones, c’est pas fait pour nous, c’est même pas bon pour les coyotes ! » Il pose deux assiettes sur la table et dit : — Si tu veux, je peux te donner quelques conseils. Mais uniquement si tu as envie.
3. Je veille tard avec Grand-pa devant la bonne chaleur du poêle à bois. Lui somnole et moi je pense que papa a peut-être raison. Faudrait que je m’y mette sérieusement si je veux être admis dans un bon lycée et aller plus tard à l’université. Après, je pense à ce qu’on va faire demain. Pêcher la truite, piéger des écrevisses, Grand-pa sait bien que c’est mon activité préférée ! Je peux rester des heures à attendre. Même si on prend rien. Moi, je regarde l’eau. Elle est tout le temps en train de changer. Parfois, elle frémit à cause du vent et ça lui fait des petites rides comme sur le visage de Grand-pa. Parfois, elle est toute lisse et on voit tellement bien à travers qu’on pourrait croire qu’il n'y a plus d’eau. Parfois, je vois une herbe qui bouge et là, c’est une truite. Il est tard. Je m’allonge sur le dos, je tire la couette et les couvertures par-dessus moi. Je ferme les yeux mais j’arrive pas à m’endormir. J’ai trop de choses dans ma tête. À vrai dire, j’ai qu’une idée : fouiller dans les cartons de Grand-pa. J’allume ma lampe de chevet. Je sors de mon lit sans faire de bruit pour pas le réveiller. J’ouvre le placard. Les portes grincent un peu. Il y a un sacré fouillis à l'intérieur. Du vieux linge entassé plus ou moins bien plié. Maman n’a pas mis son nez là-dedans depuis longtemps. Je farfouille, pousse une pile de journaux, ouvre un carton : de la vaisselle. Un autre plus lourd est plein de livres. Il y a encore un carton sur l’étagère du haut. Je me hisse. Ça va, pas trop lourd. Je le pose sur le plancher. Je m’assois par terre et l’ouvre. Je sors un bracelet en métal, des stylos, un collier de perles, des photos. Il y a des dates et des noms écrits derrière. Je reconnais Grand-pa quand il était jeune. Maman me dit souvent que je lui ressemble mais lui fait vraiment indien avec ses cheveux tressés. Là, il est avec sa mère. Sur une autre avec son père. Ça me fait tout drôle de le voir avec une tête d’enfant. Sur plusieurs photos, on dirait qu’il y a un peu de