Extrait du livre Les vacances, enfin !
Les vacances, enfin ! 1936, les congés payés en France d'Isabelle Collioud-Marichallot et Magali Dulain aux éditions Kilowatt
Les vacances, enfin !
Le week-end ne se termine pas vraiment comme je l’imaginais : pour la première fois, on a perdu contre l’équipe de Jacques. Il fallait bien que ça arrive un jour ! En plus, une de mes semelles est fichue. Maintenant, je vais devoir attendre mon anniversaire pour avoir une nouvelle paire de chaussures de sport. Les copains aussi sont déçus, ils marchent loin devant, sans un mot. Claude, notre super défenseur, René, qui ne lâche jamais rien, et Suzanne, toujours à fond sur le terrain. Sans parler de Luigi, notre arbitre, qui prend son rôle très au sérieux. On dirait qu’il joue un France-Italie à chaque match. – Pourquoi tu traînes, Jean ? Ça fait cent ans qu’on t’attend ! s’exclame René, agacé. Il a raison, Claude va se faire punir s’il ne rentre pas à l’heure. Alors on se dit « à demain » vite fait, puis hop, chacun chez soi.
À la maison, je trouve mes parents collés au poste de radio, mais, affamé, je file direct dans la cuisine. J’avale un bout de pain quand soudain le son du poste monté à fond me fait sursauter : « Chères auditrices, chers auditeurs, bonsoir ! Ce dimanche 3 mai marque la victoire du Front populaire aux élections législatives. » Papa explose aussitôt de joie, secouant maman comme un prunier : – Tu te rends compte ! Oh, ça va changer pour nous maintenant, j’en suis sûr ! Les ouvriers vont enfin se faire entendre.
Mon père fait des blagues toute la soirée. Ma mère rayonne et je rigole, même si je ne comprends pas trop ce qui se passe. Voir mes parents heureux, ça me va ! Faut dire que ça fait un bout de temps qu’ils se démènent pour s’en sortir. Quand j’avais six ans, ils ont quitté leur travail aux champs pour être embauchés à l’usine à Saint-Étienne. Ils espéraient une vie meilleure et plus d’argent. Mais… ce n’est pas trop le cas pour le moment. Moi, j’aime la vie ici. Il y a de l’animation, plus de monde à l’école et, surtout, des amis que j’adore !
Le lendemain, en classe, c’est l’effervescence. À la fin de la leçon d’orthographe, monsieur Ducreux nous éclaire sur les évènements de la veille : – En un mot, le Front populaire est un parti politique qui promet de défendre les intérêts des travailleurs. Dans la cour de récré, ça repart dans tous les sens : – Je comprends mieux la joie de mes parents ! Mon père réclame depuis longtemps des protections pour les machines. Il a failli se couper un bras le mois dernier ! – Moi, ma famille a quitté l’Italie pour venir travailler en France, poursuit Luigi. Mais mon père râle quand même d’être trop mal payé.
– Pour ma mère c’est pareil, renchérit René. Six jours à l’atelier de couture et que le dimanche pour se reposer. Sans parler des courses, de la maison et de mes deux frangines ! La cloche nous interrompt au moment où Claude raconte qu’il se fait gronder sans arrêt. Ses parents n’en peuvent plus de ne pas joindre les deux bouts. C’est pas la joie chez lui !
Notre journée de classe bouclée, on a hâte de rejoindre Suzanne devant l’école des filles. Elles aussi ont beaucoup parlé des élections. Sur le chemin du retour, on prévoit de se retrouver jeudi. – Si on allait pêcher à l’étang ? propose Suzanne. – Ouiiii ! répond-on en chœur avant de se quitter.