Extrait du livre Un bond de Géant 1969 on a marché sur la lune
(Entre le 20 et le 21 juillet, pile.) C’est une nuit vraiment pas juste! Je suis pourtant assise tout au bord de la chaise mais mes pieds ne touchent même pas jusqu’à la planète terre. J’étire, j’étire encore le bout de mes chaussures, mais rien. Je suis la plus petite des petites, voilà! Je m’étire…je fais ça depuis des minutes entières pour passer le temps, des années-lumière même… Ça, en plus d’être impatiente que tu atterrisses bientôt.
Dans la salle d’attente, la dame se penche encore au dessus de moi. Ça fait la sixième fois peut-être. C’est la chef infirmière. -Tu veux boire quelque chose? Tu veux un cookie? Sa voix est bien douce et son sourire fait du sucre glace, mais je fais quand même «non» de tous mes cheveux. Pas de cookie, pas d’histoire ni de coloriage, moi je veux juste savoir quand papa et maman vont revenir du fond des couloirs. Parce que ça fait au moins des mois qu’on ne pense qu’à toi à la maison, que tu es minuscule dans le ventre de maman mais que tu as pris toute la place de notre vie. Et là, je n’ai pas le droit d’être à côté d’eux pour te voir arriver?
À la limite, encore et encore la télévision, ça je peux, pour patienter. D’ailleurs, je crois bien justement que notre premier poste tout neuf est resté allumé quand on est parti de la maison! Ça fait deux jours que papa l’a acheté parce que «Quand même, on ne peut pas rater une arrivée d’astronaute sur la lune! C’est ce que voulait le Président Kennedy pour notre Nation: poser un homme sur la Lune et le ramener sain et sauf sur la Terre! Et voilà, c’est pour cette nuit ma chérie… ». Ah oui, faut que tu saches: en plus de toi, y a le bazar de l’espace… Tout le monde entier ne parle que de ça: le premier pas sur la lune! Alors que d’un nouveau bébé, ça, rien du tout!
Avec maman, on a bien attendu papa. Sur l’écran de la télévision on voyait la Lune. Elle m’a répété comme c’était beau pour moi, le moment de ma naissance. Que moi, j’étais née en plein jour. Et elle a -C’est drôle! Un enfant du Soleil, un autre de la Lune, j’ai vraiment de la chance! Papa, lui, il courait partout, d’une pièce à l’autre, histoire de tout préparer. Pour ne rien oublier. Pour être sûr de sûr. Pour que ce soit vraiment bien pour toi. Juste une fois il s’est arrêté: quand le présentateur aux grande lunettes grises a expliqué que «c’est tellement mystérieux, la Lune», «Qu’elle ne tourne pas sur elle-même.», «Elle gravite autour de la Terre et nous montre toujours la même face.» Là, j’ai regardé maman dessiner des ronds de douceur sur son ventre et j’ai pensé: quel visage se cache alors, de l’autre côté…?
Et puis, d’un coup, on a décollé en courant d’air pour l’hôpital. En courant d’air et en pyjama... C’est pas franchement malin ça, en pyjama, quand il fait noir de noir dehors ! Vite, j’ai attrapé un t-shirt en plus et mon petit sac que j’aime, je me suis débrouillée toute seule à l’arrière de la voiture, le moteur s’est réveillé et les seuls mots accrochés au rétroviseur de papa étaient : « Tu es prête June ? Tu sais, c’est une grande nuit, hein, tu es prête... ? »
Dans les grésillements de la radio, un monsieur a souri de ça : « Les dames, les demoiselles, les cieux, demain le monde ne sera plus pareil !». Et moi, j’étais bien contente que, pour une fois, il soit au courant pour nous ce présentateur-là. Bien d’accord avec lui...rien qu’à voir le sourire de maman, « plus tout à fait pareil ». L’homme de la radio a encore expliqué : « Quand le module lunaire «Eagle» se posera, ce sera une sacré victoire pour les Etats-Unis, une victoire décisive dans la course à l’espace ! ».