Extrait du livre De pire en pire
De pire en pire de Cathy Ytak, Thomas Scotto, Gilles Abier et Claire Czajkowski aux éditions du Pourquoi pas
De pire en pire
Les personnages Tosh 7 ans Gibus 10 ans Cami 11 ans Tableau 1 — C’est vrai, ça ne se voit pas au premier coup d’œil, mais on est frères et sœur. Pas le même âge, mais frères et sœur. — Et depuis longtemps ! — Cami est arrivée la première. — Gibus a suivi de près. Puis, Tosh a débarqué. — Mais on était contents quand même. — Surtout, avec moi, vous étiez vraiment au grand complet ! — Pourtant, à une époque, tout a failli basculer. — Tout a basculé.
Cami — C’était l’heure du goûter. On était tranquilles dans la véranda. Tous autour de la même tablette de chocolat. Très concentré, Tosh chauffait un carré entre ses mains. Une nouvelle expérience. Gibus — Il vous dira : pour prouver que la chaleur du corps, c’est comme un volcan. Tosh — Ça peut faire fondre tout ce que ça touche. Gibus — Cami parcourait la jungle du Costa Rica, le regard plongé dans l’emballage de la tablette. Cami — Bien sûr, il faut s’ouvrir un chemin à la machette. Bien sûr, tu risques d’avaler des moustiques gros comme la main. Et bien sûr, t’es pas certaine de revenir. Tosh — Gibus, lui, il était pas vraiment là. Le casque sur les oreilles, il écoutait le massacre des dauphins dans les îles Féroé. Gibus — Mille quatre cent vingt-huit en une seule journée, d’après la journaliste de l’émission. L’horreur ! Et plus le goût au chocolat. Cami — Au même moment, sur la terrasse, ça racontait pas la même histoire. C’était pas aussi calme qu’entre nous. Nos parents se tenaient face à face, les yeux dans les yeux, bouche contre bouche. Tosh — Mais pas pour un baiser où tu sors la langue… Cami — Non, ça discutait sec. Gibus — Et malgré la porte ouverte, on n’entendait pas ce qu’ils se disaient. Ils chuchotaient. C’était plutôt tendu. Cami — Gibus a posé son casque. Gibus — Tosh a léché ses mains. Tosh — Cami a quitté sa jungle. Gibus — Et tous les trois, on a dressé l’oreille. Tosh — Pour rien. Cami — Pile à ce moment, sans même nous regarder, papa a fermé la baie vitrée. Gibus — Bonjour la confiance. On n’a rien le droit de savoir. Même Cami qui est au collège depuis cette année. Ça l’a choquée. Tosh — Jusqu’aux chaussettes ! Cami — Alors, on s’est mis d’accord. Puisqu’on n’entend rien d’ici, on écoutera de là-haut. La chambre de Gibus donne sur la terrasse.
Tosh — C’était inédit ! D’habitude, on y met un doigt de pieds, il nous désintègre. Cami — Mais là, intérêt commun, on n’a pas eu à négocier. Après avoir enlevé ses plantations : deux jardinières, lentilles et fraises des bois… Tosh — Il veut être prêt si jamais y a la fin du monde. Cami — ... et en faisant bien attention à ne rien renverser pour pas l’énerver, on a pu enfin ouvrir sa fenêtre. Tosh — Pas en grand. Juste un petit peu. De quoi entendre la dernière phrase terrible de maman… Gibus — « Là, on pourra pas. On vit à crédit. On en a 3 sur le dos. Il faut en liquider un. Et on tarde pas. » "Là, on pourra pas. On vit à crédit. On en a 3 sur le dos. Il faut en liquider un. Et on tarde pas." — Gloups !
Tableau 2 Gibus — Avec Cami, on s’est regardés. En liquider un ? Un des trois ? On a eu le même frisson. Cami n’y croyait pas. Cami — En liquider un ? Un de nous trois ? C’était une blague. Puis Tosh est intervenu. Tosh — Moi, je trouve, ça serait une bonne idée. Quand il fait chaud, c’est toujours mieux. Gibus — Visiblement, il avait loupé un épisode. Cami a décidé de lui expliquer. Cami — Mais ça n’a rien à voir avec la chaleur ! Li-qui-der, c’està-dire… se débarrasser. Abandonner. Faire disparaître. Gibus — Zigouiller. Dézinguer. Dégommer. Vlan, t’existes plus. Tosh a accusé le coup. Tosh — Ah non, c’est pas une bonne idée en fait. Mais aucun parent ferait ça, hein ?
Cami — C’était pourtant ce qu’on les avait entendu dire. Gibus — Ce qu’ils avaient dit. En même temps, des parents qui abandonnent leurs enfants, ça s’était déjà vu, y avait un précédent : le Petit Poucet. Cami — Tosh a encaissé. Tosh — Oh oui, c’est vrai… le Petit Poucet ! Cami — Mais pas le temps d’avoir la trouille. Même si on n’en menait pas large, fallait réagir. Quand maman prend une décision, c’est tout de suite et jusqu’au bout. Gibus — Réagir d’accord, mais comment ? Se sauver, se cacher, se révolter ? Se sauver, c’était bien gentil, mais chez qui ? Se cacher, pas bête, mais où ? Se révolter, évidemment, mais de quelle façon ? Tosh — En même temps, ils ont dit qu’un seul… Un seul de trop. Cette phrase les a cloués dans leur élan. Cami — Parce que c’était la vérité. Gibus — On a chacun reculé d’un pas. Et par réflexe, on s’est détaillés de haut en bas. Juste un seul ? Un seul de nous ? Tosh — Et si ça se trouve, ils l’avaient déjà choisi. Genre tirage au sort, version « plouf, plouf : ça-se-ra-toi-qui- se-ras-li-qui-dé ! » Cami — À moins… À moins que ce soit plus réfléchi. Parce que le pire… ce serait qu’ils s’arrêtent sur notre comportement de ces derniers jours… Gibus — Là, y aurait vraiment de quoi s’inquiéter. Tosh — Plus que vraiment
Tableau 3 Tosh — Les deux autres ne le savent pas mais, avant d’être ma plus grosse bêtise, sur le papier… c’était l’expérience du siècle. Il y a un mois tout pile. Un exploit ! Faut dire, pour les sciences et la chimie, j’avais déjà tout essayé : enfermer un arc-en-ciel dans une bouteille, faire fuir du poivre avec du liquide vaisselle, fabriquer un nuage dans un verre… autant dire des expériences de bébé. Alors forcément, j’ai voulu monter d’un niveau. Genre, ce qu’on a le droit de faire quand on est au collège. Et en cherchant bien, je suis tombé sur le livre parfait : « Les 100 expériences de chimie magique ». De la magie ! Là, c’est devenu intéressant !
Presque tout le matériel à utiliser pouvait se trouver dans une maison et rien que la table des matières m’a donné de la salive jusque dans les yeux : page 9 « Les anneaux de fumée », page 15 « La baguette incendiaire » et tellement d’autres choses qui pouvaient s’enflammer magiquement, comme « La boule étincelante » et puis « L’écriture de feu ». C’est vrai, j’ai une préférence pour tout ce qui brûle et les petites explosions mais, après le feu « un peu trop dangereux », j’ai pensé que l’eau ce serait mieux. De la grande magie avec de l’eau ! C’est là que j’ai décidé d’improviser. Papa venait juste de nettoyer la piscine pour l’été et de changer entièrement le plastique du fond. Le brillant de la surface de l’eau sous le soleil, ça donnait un terrain scientifique vraiment magique. Après, c’est allé très vite. J’ai déversé tout ce que je pouvais de poudres, de bicarbonate, de nitrate bidule et d’acide machin, des boules de naphtaline, des produits de la pharmacie… et du gel douche aussi pour que ça sente bon. Le plus de choses possibles rapport au grand volume d’eau. D’abord, il ne s’est rien passé. Et puis, la piscine s’est colorée bizarre. Et puis, un peu de fumée est sortie de l’eau… ici et là. C’est ce qui m’a fait dire que je devrais reculer un peu. Le plus loin possible, finalement. Voire, sortir de la maison pour qu’on ne pense pas tout de suite à moi pour cette histoire. Parce que, conclusion : piscine bousillée. Entièrement bousillée. Autant d’eau de perdue, ça risquait de coûter la peau de nos fesses… Les parents ne seront peut-être pas d’accord mais ça aurait pu très bien marcher comme expérience. Donc oui, j’avais vraiment de quoi m’inquiéter.