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Libres d'être

Libres d'être

13-15 ans - 28 pages, 3831 mots | 29 minutes de lecture | © Éditions du Pourquoi pas, 2016, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Libres d'être

13-15 ans - 29 minutes

Libres d'être

Vous êtes nées filles. A aucun moment de votre toute première seconde, je n'ai imaginé que ça pouvait être autre chose qu'une conviction d'égalité... Deux textes en résonance:


De fibres entremêlées de Thomas Scotto


Paris 1909, et si ma maison brûle de Cathy Ytak

"Libres d'être" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Libres d'être

Libres d'être écrit par Thomas SCOTTO et illustrée par Cathy YTAK Aux éditions du Pourquoi Pas ??


Libres d'être DE FIBRES ENTREMÊLÉES Thomas SCOTTO ET SI MA MAISON BRÛLE Cathy YTAK
Aujourd’hui... Machinalement, je regarde autour. Autour c’est une nouvelle fois les cartons. Et peut-être que c’est une signature de famille… On dirait que, chez nous, « Demain » est un rendez-vous de nomade.
Après avoir mangé, discuté, nous avons ri, beaucoup et pour rien, nous avons dit «de beaux rêves, surtout…» et nous nous sommes embrassés dans le jeu éternel de vos joues qui reculent. Petit pouvoir malin des enfants sur leurs parents ! Bien sûr, j’ai retenu vos visages. Superbe autorité ! Nous avons ri encore, parce que c’est bien notre vérité, et chacune de vous s’est volatilisée. Chacune est partie retrouver son antre. Le silence en couverture. Là, sous vos portes, un écho de lumière. Donc, vous ne dormez pas encore. Et je ne surveille pas… je veille. Peut-être, comme on écoutait votre respiration depuis le berceau, tout près. Comme on se disait : « alors c’est vraiment vrai, nous avons eu deux filles » ? Cette métamorphose soudaine à chaque endroit de ma peau et mes jours de jeunesse bouleversés, ce que je ne savais pas de la vie et qui m’habille encore de vous. Deux filles, vraiment vrai, puisqu’aujourd’hui, vous respirez plus ample. Bouillonnantes de vivre et de rires, de sensualité et de complicité. Libres d’être.
Deux filles… Je n’ai jamais imaginé « deux garçons ». Ou seulement pour parer au champ possible des prénoms. Devancer. Pas pour un chemin de préférence. Deux garçons ? Aussi bien, je n’aurais jamais imaginé deux filles et j’aurais aimé, pareille, cette autre histoire de parent. C’est pourtant bien ce qui me pousse à réfléchir si fort ce soir, une colère mélangée, en jachère et vorace quand je n’avais jamais eu besoin de la questionner enfant. Une colère de père, sans doute, d’homme plus simplement. Vous êtes nées filles. A aucun moment de votre toute première seconde, je n’ai imaginé que ça pouvait-être autre chose qu’une conviction d’égalité.
Ça l’est. Vous le dites pour me rassurer. Alors pourquoi je tremble autant ? Ça l’est, oui. Ici, peut-être. Entre nos murs. Et si nous nous étions rendus aveugles ? Et si j’avais participé à la grande illusion ? Il y a vos corps qui saisonnent, vos voix qui s’impatientent, des tristesses, bien sûr, mais un débordement de sourires pour équilibrer le lit des émotions défaites, rien qui ne se vive pas ailleurs dans d’autres familles, rien qui semble réclamer la lutte. Votre lutte. Alors pourquoi je tremble à votre place ? Parce que la rage s’est imposée, même pas enfantée de mes cauchemars prévus. Elle, celle-là, Elle, je l’aurai apprivoisée. D’un coup d’oreiller, renvoyée dans ses cordes. Non, c’est une rage de plus loin, d’images abreuvées, de parole libérée mais sans filtre, de réflexions sauvages et de mauvais regards surpris, de dégout, de malaise, les petites violences quotidiennes, les humiliations entendues si souvent quand une éducation familiale m’avait emmené si loin, à mille lieues du sexisme conquérant…
Alors c’est la rage de ce que je ne comprends pas, de ce qui ne peut s’imprimer ni dans mon corps, ni dans mon cerveau, cette impression d’impuissance face aux habitudes des lâches et l’acharnement. Celui d’un sexe autoproclamé pour écraser l’autre. Une guerre intime qui sait très bien son nom et qu’aucun humain ne devrait cautionner. Parce que c’est bien ce qui fractionne encore et inlassablement l’humanité, non ? Le pouvoir des mâles Je suis du peuple des bourreaux. Ça devrait être supportable, enivrant, jouissif, facile, une possibilité d’envahisseur. Et c’est bien tout l’inverse. Combien sommes-nous du côté qui s’excuse, qui veulent comprendre, qui sont d’accord pour que cesse l’oppression. Les convaincus. Ce n’est pas se poser en victime, ce n’est pas vouloir se vanter d’un fardeau, ni prendre le « contrôle de » ni « la place de », ce n’est pas parler au nom des femmes mais de celui de l’égalité. Refuser la toute-puissance des petits rois. Cesser de chuchoter derrière les brutes et faire dehors ce que l’on pense dedans.
Parce que si je n’avais pas été garçon puis homme, j’aurais été fille puis femme. C’est assez lumineux pour étourdir vraiment. J’aurais été l’autre sexe. Tout simplement. L’autre moitié de l’humanité. Depuis toujours c’est mon évidence. Je le porte dans certains de mes gestes et dans toutes mes idées. 1974. Je suis né l’année d’un des plus grands discours offert par une femme à la liberté... celle de disposer de son corps. On m’a fait grandir vers cet horizon-là. En chansons de femmes qui chantaient les femmes, en textes d’hommes qui les aimaient vraiment, en différences qui construisent mais ne divisent pas. Depuis toujours concerné, je m’étais endormi comme on le fait serein, comme on ne voit pas l’accident puisqu’on ne conduit pas.
Le réveil est glaçant et certains jours nocturnes. Si les droits de l’Homme ne sont toujours pas ceux de la femme -la porte ouverte est enfoncéeles droits de l’Homme ne sont donc pas les nôtres. Alors tout appelle à la lutte. Votre lutte. Celles des filles d’aujourd’hui. Celles des garçons de maintenant. Est-ce qu’elles savent, vos voix, toutes celles qui se sont tues ? Celles qu’on a bâillonnées, exilées, guillotinées. Les interdites. Elles ont dit Pas esclaves Pas de place établie Pas juste fille, mère, épouse Pas les mariages forcés Pas obligées d’avoir d’enfants Pas obligées tout court Plus d’avortements clandestins Pas les mutilations sexuelles Pas d’habits interdits Pas de lieux interdits Pas des objets de magazines Pas des objets tout court Pas une sombre histoire de sorcellerie…