Extrait du livre Le courage de mon père
Le courage de mon père De Anne Loyer et Chloé Fraser Editions Kilowatt
Le courage de mon père
La porte se referme dans un grand clac et le sari de ma mère m’enveloppe. Du jaune, du rouge, de l’orange comme pour mieux colorer le trop plein de gris qui me colle au cœur et aux yeux. Nous restons tous les trois comme ça, longtemps. Serrés et silencieux, alors que dans ma tête les cris n’en finissent pas de résonner et les images de s’entrechoquer.
Mon père vient de se faire embarquer par deux policiers anglais. Ils sont entrés sans frapper. Ils ont hurlé son prénom, « SUJAN », alors qu’il était juste devant eux, ma petite sœur dans les bras. Maman a récupéré Diba avant qu’ils ne l’empoignent et ne l’entraînent.
Pourquoi ? Pourquoi mon père, dont le prénom indien signifie « honnête », a-t-il été arrêté ? Je sais bien que les Anglais ont tous les droits, qu’ils écrivent les lois et qu’ils décident de la vie des miens et de mon pays depuis très longtemps, mais nous n’avons jamais rien fait pour mériter ça ! Nous vivons simplement, pauvrement, mais dignement. Je ne comprends pas.
– Ce n’est pas juste, je m’écrie désespéré. Sur mes joues coulent des larmes. Pas de peur, ni de tristesse. De colère. – Pas juste ! répète ma sœur en écho. Elle n’est pas bien vieille Diba, mais elle a tout compris. Je lui souris pour la remercier. Mais le visage de ma mère ne bouge pas. On dirait qu’il est tendu par des fils invisibles. Elle dépose ma petite sœur par terre, s’accroupit et pose ses mains sur mes épaules. – Écoute-moi bien Aslam : ton père a désobéi. – Il a fait quelque chose de mal ? demande Diba en ouvrant de grands yeux. – Non... – Mais tu viens de dire qu’il avait désobéi ! je lâche, énervé. – Votre père a seulement voulu gagner un peu d’argent en récoltant du sel et en le revendant, me répond ma mère.
Le sel... Combien de fois ai-je entendu mes parents râler contre le prix de l’impôt qu’ils devaient payer pour pouvoir en acheter. Une taxe bien trop lourde pour leur petit porte-monnaie. « Et puis, s’agaçait mon père, nous qui vivons juste à côté de l’océan, nous n’avons même pas le droit d’en récolter. Comme si la terre indienne ne leur suffisait pas, comme si les Anglais voulaient aussi être propriétaires de la mer ! »
Pourtant, jamais je n’aurais cru que mon père braverait la loi. Il m’a toujours dit qu’il fallait respecter les règles. « Reste droit mon fils. Sur tes pieds et dans ta tête. Personne ne pourra rien te reprocher. » Mais maintenant ? Après ce qu’il a fait... Je suis perdu.