Extrait du livre Ma blanche colombe
Ma blanche colombe De Anne Loyer et Sophie Daxhelet Editions Kilowatt
Ma blanche colombe
Normalement, ce jour-là, j’aurais dû rester au lit. C’était un jour férié et je n’imaginais rien de mieux que de le passer à rêvasser. Mais mes parents en avaient décidé autrement. – Paloma, dépêche-toi ! m’a dit papa en me tirant du sommeil. Ce 1er mai, celui de 1937, ne serait pas comme les autres. – Tu vas participer à ta première grande manifestation, a-t-il ajouté en ouvrant mes volets. – Marcher c’est plus fatigant que dormir ! j’ai rouspété en me frottant les yeux. – Peut-être... mais c’est nettement plus efficace ! Et puis marcher pour la paix, c’est motivant, non ? La paix... c’était justement pour la retrouver que nous avions quitté l’Espagne. Notre pays était en guerre et les bombes tombaient jour et nuit sur nos têtes.
À Madrid, papa travaillait dans l’imprimerie d’un grand journal. Et comme il imprimait la vérité, certains ne le supportaient pas. Il y avait eu des menaces et papa avait fini par abandonner son métier, maman son atelier de couture, et moi toutes mes copines. La vie devenait trop difficile, trop dangereuse, pour rester chez nous. C’est comme ça que nous avions débarqué chez ma tante Lola, à Paris.
J’ai suivi mon père en traînant les pieds jusqu’à la cuisine pour prendre mon petit déjeuner. En attrapant le pot de confiture, je suis tombée sur la première page du journal où une photo noire s’étalait. Je me suis penchée pour mieux la voir. – Mais la France est en paix, non ? j’ai riposté, les yeux rivés sur l’image. – La France oui, mais l’Espagne toujours pas. La voix de papa était trop grave pour que j’insiste.
Maman a surpris mon regard : – C’est la ville de Guernica... le général Franco et les Allemands l’ont tellement bombardée qu’il n’en reste plus rien. Sa phrase s’est cassée dans un sanglot. Franco, mes parents m’en avait déjà parlé. Tout ça, toute cette guerre qui déchirait l’Espagne, c’était sa faute. C’était un dictateur en puissance et il était prêt à raser toutes les villes pour prendre le pouvoir. Comme Guernica...
– Heureusement qu’on est chez Lola maintenant ! j’ai dit pour consoler maman. Au moins, ici, on est en sécurité ! – C’est vrai, ma chérie. Elle m’a souri en essuyant une larme. Mais, très vite, elle a ajouté : – Mais être en sécurité ne veut pas dire oublier ceux qui souffrent. – Et la sécurité ne dure nulle part, si on laisse faire sans réagir, a soufflé papa. – Allez zou, Paloma ! Mets tes chaussures et ton manteau, on va aller protester tous ensemble, s’est exclamée tante Lola.
Je ne comprenais pas grand chose à la politique mais je n’étais pas d’accord pour qu’on massacre des gens sans réagir. Je voulais moi aussi crier ma colère. Alors, tenant maman par une main et papa de l’autre, je les ai suivis et nous avons rejoint le cortège qui défilait. Une foule immense s’était rassemblée entre la place de la République et la place de la Bastille. Un monde incroyable !