Extrait du livre Mon père, ce cuistot !
Mon père, ce cuistot ! Anne Loyer & Karine Maincent
Chapitre 1 C'est arrivé un jeudi. Je m'en souviens très bien car c'est le jour du tennis. C'est le papa de Léo qui nous y emmène. Il fait le taxi et il s'arrange toujours pour être là à la sortie de l’école. J'adore monter dans sa grosse berline noire, tout confort. On a même le
droit d'engloutir notre goûter à l'intérieur, parce que tous les jeudis soirs elle passe au nettoyage. Et ce jour-là, je m'en souviens très bien, j'avais oublié ma raquette dans sa voiture. Je m'en suis rendu compte trop tard évidemment et j'étais sûr d'être traité de " Galacticman " par Girafe. Girafe, c'est ma soeur. Son vrai nom c'est Aurélie, mais cette grande bringue a tout de la dame au long cou, alors pour moi c'est Girafe et puis c'est tout. Pour en revenir à ce fameux jeudi soir, rien ne s'est passé comme prévu. D'abord, parce que quand j'ai poussé la porte d'entrée de la maison, Girafe n'était pas vautrée devant la télé, comme tous les jeudis soirs. Ensuite, parce que dans le salon, l'écran de la télévision était vide, mais la pièce pleine. Il y avait ma soeur, Riquiqui, mon petit frère à qui s'appelle Rudy en réalité, mais vous avez compris à quoi il ressemble : à presque rien - dans son couffin, ma mère et mon père sur le canapé. Un comité d'accueil bien trop fourni pour être normal. e me suis arrêté net : - Qu'est-ce qui se passe ? - On t'attendait Yannis ! a dit maman. On a une nouvelle à t'annoncer. J'ai regardé ma soeur, elle a haussé les épaules genre j'en-sais-rien. Ils m'attendaient vraiment. - À vous annoncer, a donc rectifié papa. Je me suis assis, juste à côté de Girafe. Eux deux en face. Riquiqui entre nous quatre. Les parents souriaient, du même sourire. Celui qui dit qu'ils sont d'accord, qu'ils ont longuement répété leur speech, qu'ils ont le même avis sur la question et pas l'intention d'en changer. Des sourires jumeaux.
- Voilà... maman a toussé pour s'éclaircir la voix. Mon congé maternité est terminé et je vais reprendre le travail. - Jusque-là tout est normal, a commenté ma soeur avec lassitude. - Je vais reprendre le travail... comme prévu, a donc précisé ma mère pour reprendre l'avantage. Et votre père... - ...va arrêter le sien, a-t-il continué avec l'air heureux de celui qui fait un cadeau surprise. - Quoi ???? Ce mot a fusé de nos bouches d'un seul trait, à Aurélie et à moi. Nous n'avions pourtant rien répété, nous étions dans l'improvisation la plus totale. Riquiqui, lui, a fait un bond en rase motte et s'est mis à battre l'air des pieds et des mains. Il a fini illico entre les bras de maman, bercé par des " lalala " ridicules. - Vous avez bien entendu. J'ai décidé de
prendre un congé parental pour m'occuper de Rudy et de vous par ricochet. Là, j'avoue que ça nous a coupé l'inspiration. On ne savait plus quoi dire. Ni Girafe, ni moi. On est restés la bouche ouverte sur la nouvelle. Impossible de l'avaler, elle était bien trop grosse. Papa a rigolé, maman l'a imité et Riquiqui a gloussé avec eux. Forcément, à son âge il ne peut pas comprendre ce que ça veut dire. Mais avec Girafe on a bien capté : papa à la maison, toute la journée et tous les jours, ça veut dire papa sur notre dos non-stop ! Et ça c'était juste une nouvelle-catastrophe, ni plus, ni moins ! Chapitre 2 Et voilà... depuis ce fameux jeudi, à la maison il y a papa. Papa-ci, papa-là, papa toujours là. Au petit déjeuner, au goûter, au dîner et même au déjeuner. Parce qu'en plus, comme il est là pour nous, il faut qu'on soit là pour lui. Et donc... adieu la cantine. Seule Girafe a réussi à sauver un jour par semaine.
Elle a de la chance d'être au collège. Ça donne visiblement des privilèges. De toute façon papa nous a sorti sa carte maîtresse : les bons petits plats. - Je vais vous mitonner des repas aux petits oignons dont vous me direz des nouvelles. Et, effectivement, on lui a donné des nouvelles : - Trop chaud ! - Trop froid ! - Pas salé. - Trop salé. - Trop gras. - Trop pimenté. - Beurk... Mais ça ne l'a pas découragé. Pas du tout ! Et pour parfaire son apprentissage de cuistot à la maison, papa s'est mis à fréquenter internet assidûment. Les sites de recettes n'ont bientôt plus eu de secrets pour lui. Entre les couches, les bains, les biberons et les promenades au grand air de Riquiqui, le ménage, la vaisselle, le repassage et les promenades au grand air de Riquiqui, papa imprimait, annotait, classait, se faisait livrer et promenait Riquiqui au grand air. Entrées, plats, desserts tout y passait. La cuisine a vite été envahie de trucs et de bidules aux formes biscornues et mystérieuses. Les placards, eux, ont vite débordé de produits non répertoriés. Il y mettait du coeur, et nous, à vrai dire, pas beaucoup d'estomac. Et pendant que je devais avaler les expériences culinaires paternelles, Léo me racontait les frites, les nouilles et autres merveilles que je ratais quotidiennement à l'école. Les déjeuners avec papa étaient un calvaire, quant aux dîners seule maman