Extrait du livre Un toit, deux mois
Un toit, deux mois de Sandra Le Guen et Laura Giraud aux éditions Kilowatt
Un toit, deux mois
Chapitre 1 En me levant le premier matin du premier jour de cette histoire, je me sentais un peu bizarre. Personne ne m’avait réveillée pour aller à l’école. La maison était silencieuse. Je suis descendue le plus discrètement possible, j’avais l’habitude, j’étais souvent la première levée. Cette fois, ce n’était pas
le cas. Une odeur de café flottait déjà dans la cuisine vide. Un petit mot attendait sur la table : Coucou la marmaille, nous sommes partis récupérer nos affaires au bureau. Nous serons de retour dans l’après-midi. Ce matin, commencez vos devoirs. Ce midi : pique-nique. Salade, tartinade et fromage. Chips et sodas autorisés. Bocal de cornichons dévissé. Bon réveil et soyez zen ! Bisous Les parents « Les parents », c’est notre manière de les appeler. Je veux dire « les » plutôt que « nos » parents parce qu’on est une famille « recomposée ». Je n’aime pas ce mot qui fait comme si on était décomposés avant, mais je n’en connais pas d’autres pour dire rapidement que : • Ma mère vit avec Alexandre, mon beau-père. • Nous sommes quatre enfants, à savoir moi (Rachel) et Gabriel, enfants de Nicole, et Léo et Matilda, enfants d’Alexandre. • On se considère comme des frères et sœurs. • Une semaine sur deux, nous vivons sous le même toit. • L’autre semaine, nous allons chez notre autre parent. Enfin, pas depuis vendredi dernier. Le président de la République a annoncé un confinement général pour au moins deux semaines à cause d’une épidémie qui touche le monde entier. Interdit de quitter son domicile. Les écoles, les bureaux, les magasins non alimentaires, les activités… tout, tout, tout ou presque a fermé. Sauf les hôpitaux. Et c’est justement là que nos deux autres parents travaillent. Ils sont
réquisitionnés et doivent rester disponibles à tout moment pour soigner les malades. Alors pas de résidence alternée jusqu’à nouvel ordre. « C’est plus prudent, ma chérie. » Franchement, ça lui va bien à ma mère de me dire ça. Ce n’est pas elle qui a un travail risqué ou qui ne verra pas son père pendant longtemps. Moi, ça me rend triste et ça m’inquiète. Matilda interrompt le fil de mes pensées : – Salut Rachel, ça va ? – Ouep ! Regarde. Elle prend le mot des parents en posant un bisou sur ma joue et me demande : – Tu sais déjà ce que tu dois faire ce matin, toi ? – J’ai pas encore regardé, et toi ? – Sur Oupsnote, c’est l’horreur. Juste pour aujourd’hui : français, maths, SVT… Ils ont craqué les profs, je ne sais pas comment je
vais faire… j’ai envie de pleurer. Comme Léo et Gabriel, Matilda consulte ses cours via Oupsnote, le logiciel du collège et du lycée. Pas moi ! Ma maîtresse nous a donné une pochette le dernier jour de classe avant le confinement. – Moi aussi, j’ai envie de pleurer, mais plutôt parce que je ne vais pas voir mon père. – C’est clair, comme moi, ma mère. Il est chanmé, ce virus, il fout tout en l’air. Matilda me regarde avec une mine dépitée en marquant une pause exagérée qui me fait éclater de rire. Elle rit aussi en me faisant un check : – Allez sister, haut les cœurs ! Chapitre 2 Installée à mon bureau, j’ouvre la pochette des devoirs. Un mot de la maîtresse accompagne trois enveloppes timbrées : Bonjour Rachel, Pendant le confinement, tu correspondras avec un autre élève de la classe. Le tirage au sort a désigné Abel. Tu lui enverras trois
courriers grâce aux enveloppes jointes. Vous vous raconterez vos journées, vos activités, vous vous poserez des questions et vous répondrez. N’hésitez pas à être créatifs : dessin, découpage, collage, peinture... Rachel, tu commences. Voici son adresse : Abel Denèche 6, allée des Petits Cubes 35160 Trémelingue Bonne correspondance ! Marion Je relis la lettre, dépitée. Abel est nouveau dans la classe, je ne le connais pas vraiment. Qu’est-ce que je vais lui raconter ? - Ça va ? me demande Matilda depuis son lit, les yeux fixés sur son téléphone. Nous partageons la même chambre avec Matilda. Chacune son lit, chacune son bureau, chacune son petit coin. Je lui