Extrait du livre Drôles de contrôles
Drôles de contrôles de Fanny Joly et Roser Capdevila aux éditions Fanny Joly Numérik
Drôles de contrôles
1. Le terrible Marsu Je vais vous donner un bon conseil : méfiez-vous si vous avez un jour Marsu comme instituteur. Moi, je l'ai eu l'année dernière : ça a été la plus terrible de mes quatre années d'école... Au fait, il faut que je me présente. Je m'appelle Marie-Lou Gilbert. J'ai 9 ans et toutes mes dents. Je dis toujours ça, mais le mois dernier, j'en ai encore perdu deux. Entre celles qui tombent et celles qui repoussent, je ne sais plus bien le compte. Mais ce n'est pas le problème. Le problème, c'est Marsu. Pour que vous le reconnaissiez, je vais vous dire comment il est. C'est un tout petit homme, assez âgé, mais très
agile. Il porte un imperméable gris quand il avance dans la rue, on le voit à peine. Il a une longue mèche qui pousse sur le côté de sa tête et il l'enroule comme une guirlande autour de son crâne chauve. Ses yeux sont deux grains de café enfoncés sous ses gros sourcils comme dans de la pâte à modeler. Il a une bouche très fine. Quand il rit, ce qui est plus que rare, on dirait qu'il a honte. Il essaie de se retenir, comme quand on mange un bonbon en classe et qu'on a peur de se faire punir. Marsu, c'est son surnom secret. C'est le raccourci de marsupiau », parce qu'il répétait tout le temps : Regardez-moi ces marsupiaux, ce n'est pas une classe, c'est un troupeau ! Mais qu'est-ce que vous avez dans la tête, une cervelle de marsupiau ? »
Les copains et moi, nous avons cherché dans le dictionnaire : les marsupiaux, ce sont des animaux qui grandissent dans la poche de leur mère, comme les kangourous. C'est aussi, toujours d'après le dico, une manière familière de dire : un rigolo », un zigoto Nous, on n'a jamais trouvé ça très plaisant comme manière de dire. Surtout moi...
2. La dernière de la classe En classe, on avait tout le temps Marsu, même pour le dessin et la musique. Pas moyen de se défiler ! Il n'y avait qu'en gym qu'on ne l'avait pas. Pourtant, c'est bien la seule chose qui aurait été rigolote : le retrouver en survêtement, avec ses petites jambes et sa mèche au vent !
Chaque matin, on entendait le claquement de ses vieux souliers sur le carrelage et son crâne avançait, en mesure, au ras des vitres du couloir. Puis il entrait brusquement en disant : - Allons-y, n'pas ! Marsu disait tout le temps ça : « n'pas », en faisant cliquer un truc dans son nez, comme s'il avait envie de se moucher. Il ne prenait même pas le temps d'accrocher son imperméable, ni de nous demander : « Alors, les enfants, ça va bien ? Qu'est-ce que vous avez fait hier soir ? » Non. Rien. Direct au boulot, comme s'il y avait le feu au tableau. C'était un cauchemar vivant. Surtout pour moi, parce que j'ai un léger problème à l'école... C'est même un problème carrément lourd, j'ai la cancrerie aiguë de naissance, je suis dernière en tout. En fait, c'est à cause de ma tête. Elle est comme un ballon tout léger et, dès qu'un maître
commence à parler, elle s'envole. Et je me mets à penser à tout, sauf à ce qu'il faudrait : à mon hamster, aux gâteaux de tante Marinette, à des frites avec du ketchup. Il y a tant de choses chouettes à penser ! Avec Marsu, ça a été vite. Le lendemain de la rentrée, pendant la leçon de géographie, sa voix m'est tombée dessus : - Mademoiselle Gilbert va nous dire le nom des affluents de la Seine ! Je suis restée muette comme une carpe, à sécher près de mon radiateur. Marsu me fixait avec ses yeux noirs. Et ce n'était que le début ! Sur le premier bulletin, il a mis : " Ni fait ni à faire." Pas fameux comme cadeau de Noël ! Maman a scruté les piles de zéros. Elle est restée sans rien dire un bon bout de temps. Puis elle m'a regardée. Et, pleine de désespoir, elle m'a demandé : - Mais pourquoi, pourquoi es-tu comme ça ?
Papa, lui, n'a pas arrêté de me faire la morale. Et puis il a décidé qu'au deuxième trimestre j'allais bien travailler... J'étais d'accord, j'avais bien envie, moi aussi, de rapporter un carnet plein de belles notes, comme un porte-monnaie bourré de billets. Mais comment réaliser ce rêve ? Je n'en avais pas la moindre idée. Et malgré toutes mes envies de succès, sur le bulletin du deuxième trimestre Marsu a écrit : « Aucune amélioration. Je souhaiterais rencontrer les parents. » Mes parents sont donc venus un jour, à la sortie de midi. Marsu les a fait entrer dans la salle des maîtres. Moi, j'ai attendu dehors. Je les voyais à travers le rideau. Quel spectacle ! Marsu gesticulait. Maman rougissait. Et Papa pianotait sur son attaché-case... Pas besoin d'entendre pour comprendre que ça allait chauffer. En sortant de l'école, Papa a déclaré : - Bon, Marie-Lou, l'heure est grave. Si tu n'as pas la moyenne aux contrôles du troisième trimestre, on ne t'emmène pas en vacances à la mer !