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Kinsaku, le poète guerrier

Kinsaku, le poète guerrier

13-15 ans - 23 pages, 3600 mots | 28 minutes de lecture | © Zoom éditions, 2013, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Kinsaku, le poète guerrier

13-15 ans - 28 minutes

Kinsaku, le poète guerrier

Kinsaku, dernier né d’une longue lignée de guerriers au service des seigneurs du Japon, parle très peu. Au point que ses camarades le surnomment Kinsa le muet. Il n’aime pas se battre non plus, au désespoir de son père qui s’obstine pourtant à lui faire prendre des cours de combat. Kinsaku rêve d’autre chose, de poésie, de mots qui dansent et s’organisent dans sa tête mais ne parviennent pas à franchir ses lèvres… Il devra apprendre à lutter, mais pour se faire enfin entendre. Basho-Kinsaku Matsuo est l’un des pères fondateurs, au XVIIème siècle, des poèmes sous forme de haïku.

"Kinsaku, le poète guerrier" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Raconté par Jean-Cyprien

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Extrait du livre Kinsaku, le poète guerrier

Kinsaku, le poète guerrier de Calouan et Elis Wilk aux éditions Zoom


Kinsaku, le poète guerrier
- Allez Kinsaku, lance ton pied sans réfléchir. Droit direct devant toi. Je te l’ai déjà dit et répété : « ne pas penser »… Toi, tu penses « coup », tu penses « ennemi », tu penses « attaque » et tout cela n’est pas bon… Parfois tu penses « sabre »… ce n’est pas bon. Si tu veux être un bon guerrier, tu dois vider
ton esprit de toutes pensées parasites. Comme à chaque fois, Kinsaku écoute et ne répond pas. Il se contente de hocher la tête. Les autres garçons du cours de combat l’ont surnommé « Kinsa-le-muet ». Kinsaku ramasse son katana d’entraînement en bois et se met en garde. Il dresse son bâton devant son visage et attend l’attaque de Yoshitada. Depuis qu’il est petit, on lui répète qu’il sera un bushi plus tard, un guerrier gentleman. Mais être un guerrier ne lui plaît pas. Kinsaku n’aime ni la violence ni les combats. Il voudrait pouvoir connaître des tas de choses, lire et découvrir. Et ensuite transmettre. Parfois il se dit qu’il aimerait soigner les gens malades, blessés, malheureux. Mais son père a froncé les sourcils : - Toi ? Médecin ? Il n’en est pas question ! Tu seras un bushi, comme tous les hommes de cette famille ! Le petit garçon ne comprend pas pourquoi il lui faut faire comme les autres, pourquoi il ne peut pas, lui, être différent des hommes de sa famille. Ou alors, il peut devenir moine et apprendre les lettres. - Mais qu’est-ce qui se passe dans ta tête, Kinsaku ?
s’inquiète son père, les rares fois où le petit garçon émet un avis. Kinsaku ne se sent pas compris. Ni par ses camarades ni par ses parents. Alors il ne parle plus. Il effectue les taches qu’on lui donne, obéit sans se rebeller et se tait. - Allez, Yoshi, mets-le en pièces ! Ce cri vient du groupe de spectateurs venu observer l’entraînement. Mais Kinsaku ne se laisse pas déconcentrer. Dans sa tête, il se répète « ne pas penser... ne pas penser... » et pendant que son adversaire frappe avec fougue sur son sabre de bois, il tente de résister à la force qui le déséquilibre. Le maître lui a appris à ne pas se laisser perturber, à rester déterminé dans son objectif à atteindre. Et là, son objectif, c’est de gagner le combat contre Yoshitada. Il se dit qu’il va envoyer son pied dans le ventre de son adversaire et le pousser ainsi, puis lui asséner un grand coup de sabre dans le dos. Même s’il n’aime pas donner des coups, Kinsaku sait qu’il doit se défendre pour ne pas être ridicule devant les autres. Et surtout devant son père, au premier rang dans les gradins. Il serre les mains autour de son katana en bois et pense « attaque ». Hélas, les clameurs alentours le dérangent.
- Yoshi ! Yoshi ! Yoshi ! - Silence ! crie le maître. Trop tard, Yoshi a déjà pris l’avantage dans ce combat : il a envoyé un coup sur le sabre de Kinsaku, et a crocheté son pied dans le même mouvement, déséquilibrant son concurrent. Kinsaku se sait vaincu d’avance, il ne réussira pas à retrouver l’avantage. Il imagine déjà le regard désolé de son professeur et la déception de son père qui espère tant faire de lui le digne successeur du guerrier qu’il est. Car, même si le garçon n’est pas d’accord avec les choix de son père, il met un point d’honneur à ne pas le peiner. Kinsaku soupire, triste et désappointé. « Ne pas penser » c’est facile à dire mais comment faire quand l’esprit est envahi de questions, d’images, d’espoirs ? Yoshitada, lui, n’a pas perdu de temps en réflexions inutiles et il continue de distribuer coups de katana et coups de pied souples mais savamment placés. Soudain, sans qu’il ne comprenne bien pourquoi, Kinsa-le-muet entend des mots qui défilent dans sa tête : Sur une branche morte Les corbeaux se sont perchés
Soir d’automne Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Il ne saisit pas bien. Peut-être sont-ce des phrases qu’il a entendues en cours et qui lui reviennent en mémoire ? Lui qui ne parle plus, ne laisse pas sortir les mots de sa bouche. Il les fait tourner dans sa tête, les laisse résonner brièvement, les savoure. Les mots ont envahi toute sa tête. Il ne pense plus à son père ni à sa défaite qui semble évidente. Il sent le sang qui circule vite dans ses veines, il sent la force qui le gagne à nouveau. Il se jette à corps perdu dans le combat et fait cogner son katana fort sur celui de Yoshitada. Celui-ci est surpris, mais ne se laisse pas avoir. Il effectue une rotation rapide et braque son sabre qu’il fait retomber sur les épaules de Kinsaku. A terre. Kinsaku est à terre. Encore une fois. Et les « hourra » du public montrent bien qu’il n’est pas le plus apprécié des deux « guerriers ». Paix du vieil étang Une grenouille plonge Bruit de l’eau. A nouveau, ces morceaux de phrases qui se
succèdent et envahissent son esprit. Il sent son genou qui le lance, il grimace en se relevant. Malgré la fougue qui l’a étreint, Kinsaku se dit qu’il n’arrivera jamais à vaincre Yoshitada. Le garçon se penche cérémonieusement, salue son adversaire et rejoint en boîtant son père qui ne sourit pas. - J’attends de toi que tu gagnes la prochaine fois, prononce durement son père. Kinsaku ne répond rien. Comme toujours. Muet. Encore une fois, son père est déçu. Mais Kinsaku s’en moque. Il vient de décider que jamais il ne sera un guerrier bushi, qu’il ne suivra pas les traces des hommes valeureux de la famille et il est prêt à en discuter avec ses parents. En discuter, oui. Mais comment ? Lui qui n’ouvre jamais la bouche, lui dont on ne connaît pas le timbre de voix, ne sait pas encore comment en parler à ses parents. Le petit garçon a peur de leurs réactions, et pourtant ça lui est égal. Les combats, les prises, les jambes lancées, coups donnés, très peu pour lui. Il en est certain. Et ces phrases qui s’inscrivent dans sa tête accentuent cette certitude. Ce soir-là, à table, devant le bol de riz et la soupe