Extrait du livre La reine des coquillages
La reine des coquillages écrit par Nathalie et Yves-Marie CLÉMENT illustré par Simon BAILLY Aux éditions du Pourquoi Pas ??
La reine des coquillages
Chap.1 Les coquillages C’était dimanche. Charlie marchait lentement sur la plage, foulant le sable fin soulevé par le vent. Ce matin-là, il disposait de peu de temps, car sa tata Clémentine venait manger à la maison de vacances et Charlie devait dresser la table pour aider sa mère.
Il fit quelques pas, s’accroupit, gratta un peu le sable et saisit entre ses doigts la belle coquille bleutée qu’il venait de dégager. Il la fit tourner sur elle-même, souffla dessus pour la nettoyer, et la fourra dans son sac. « Charlie, tu n’as pas assez de coquillages, dans ta collection ? » lui avait encore demandé sa mère. C’était d’un air de dire : « On dirait qu’il n’y a que ça qui compte dans ta vie, ramasser les coquillages. » Oui, Charlie ramassait les coquillages. Puis, l’après-midi, à la maison de vacances, il installait ses trouvailles sur le petit bureau de sa chambre. Il sortait son cahier à dessin, et il reproduisait le plus fidèlement possible chacun de ces trésors. Le crayon noir caressait le papier granuleux, traçant des courbes parfaites, des arabesques, des tourbillons infinis, des hélices sans fin. Il appréciait surtout les petits spécimens. Les grandes oreilles de mer et les couteaux prenaient beaucoup trop de place sur le papier. Alors, quand il les dessinait, il en diminuait la taille et n’en faisait jamais plus de deux. Ensuite, il puisait dans le lourd catalogue de son imaginaire, inventant des poissons, des baleines, des méduses, des algues et des rochers. Parfois des hommes grenouilles. Parfois des épaves de galions espagnols. Il dessinait des dauphins et des requins, et toute cette vie parcourait librement la feuille à dessin, se glissant dans tous les sens, se frayant d’étroits passages entre les bulots, les bigorneaux, et les couteaux si parfaitement dessinés. Charlie avait hâte d’être l’après-midi. Dessiner… dessiner encore. C’était son bonheur pendant les vacances. C’était sa vie.
Il s’accroupit, ramassa un autre coquillage à la forme bizarre. Il s’agissait en fait d’une capsule de bouteille ! Charlie éclata de rire. Charlie riait volontiers. Il riait seul en se racontant ses histoires. Il riait dans sa tête, il était heureux. Il n’avait pas besoin des autres pour ça. Pas de copain. Pas d’ami. Même à l’école. Seulement sa famille, sa plage, ses coquillages et son cahier à dessin. C’était son univers. Sa bulle. Mais ce jour-là, à ses pieds, à seulement quelques mètres, il aperçut un sac en plastique jaune qui semblait protéger quelque chose. Son cœur cogna très fort. Charlie hésita à le ramasser. Il ignorait alors que ce geste allait changer sa vie… Chap.2 Un mur infranchissable Charlie était là pour les coquillages, pas pour récolter tout ce qui traînait sur la plage. Les capsules de bouteilles, les morceaux de bois rejetés par les flots, les sacs en plastique, les os de seiches. Il hésita.
Il se sentait bien incapable de prendre une décision. Il releva la tête, cherchant sa mère du regard. Elle pourrait peut-être le conseiller. Parfois, elle venait marcher ou faire son jogging. Mais il n’y avait personne sur la plage. Seul le mugissement du vent. Charlie tourna son regard vers la mer infinie. À l’horizon, la voile blanche d’un bateau de plaisance. Il resta un moment à l’observer. Le bateau avançait avec peine sur l’horizon. Il se dirigeait vers le sud. Combien de personnes se trouvaient à son bord ? Où se rendait l’équipage ? Dans quel pays ? Ses occupants s’arrêtaient-ils parfois sur une plage de sable pour ramasser de beaux coquillages ?
Charlie savait que sur d’autres plages, dans d’autres contrées bien loin d’ici, les coquillages rivalisaient de couleurs et de formes. On y trouvait des porcelaines et des olives à la nacre luisante et bigarrée. Mais les ramasseurs devaient parfois se méfier. Certains de ces trésors, comme le cône textile, possédaient un dard, et un venin pouvant entraîner la mort. Un sac en plastique jaune… Cet objet inattendu se dressait sur le chemin de Charlie comme un mur infranchissable. Il ne s’agissait pas d’un détritus tel que Charlie en trouvait parfois sur la plage, jeté par la marée. Ce sac contenait un objet, quelque chose de mystérieux, bien emballé, protégé du sable, de l’eau salée, des rochers, du vent, et des mauvaises intentions. Charlie se décida d’un coup. Il se pencha, et ramassa cette chose qu’une vague plus forte que les autres venait sans doute de déposer là. Vite, il la fourra dans son grand sac, avec les coquillages. Il releva la tête, regarda encore autour de lui pour s’assurer qu’aucun témoin n’avait assisté à la scène. — Je ne suis pas un voleur, balbutia-t-il. Je ramasse les coquillages. Vite, il rentrerait chez lui, monterait dans sa chambre, fermerait sa porte… Vite, il ouvrirait le sac en plastique jaune pour en dévoiler le contenu.
Chap.3 Tata Clémentine Charlie se dépêcha donc de rentrer à la maison de vacances, avec un petit pincement au cœur, car il n’avait pas ramassé suffisamment de coquillages pour faire un beau dessin. Tant pis. Ce n’était pas si grave. Il lui suffirait de retourner à la plage dans l’aprèsmidi, après le dessert. Après tout, elle ne se trouvait qu’à une centaine de mètres de la maison. Il compta dans sa tête le nombre de coquillages qu’il avait ramassés : un vernis, deux tellines, une praire, deux bigorneaux et une jolie patelle. Sept. Ce n’était vraiment pas beaucoup. Et ils n’étaient pas très beaux. Il hésita à faire demi-tour. Mais sa maman l’attendait pour mettre la table. Et puis Charlie était pressé d’ouvrir le sac en plastique jaune dans le secret de sa chambre. Le portail du jardin de la maison de vacances apparut au tournant du chemin des Américains. C’est papi qui appelait ce sentier ainsi parce qu’il y a très longtemps, des soldats américains avaient débarqué ici pour sauver la France. Son papi habitait très loin, dans un autre pays : la Malaisie. Il le voyait seulement une fois par an, à Noël.
Charlie longea les vignes, poussa la barrière du jardin. Sa mère était assise sur le seuil de la porte principale. Elle lui sourit. Charlie ne fit pas attention à elle. Il monta les marches du seuil sans la regarder. Sa mère le saisit par le poignet. — Alors, Monsieur Coquillage ! Regarde-moi ! Charlie tourna la tête vers elle. — Je vais mettre la table, dit-il. — Pas la peine, mon chéri. Tata Clémentine a téléphoné. Elle ne viendra pas. — Ah ! Je vais mettre la table quand même. Sa mère se leva, prit son garçon par l’épaule. — La pêche a été bonne ? Charlie serra son sac de coquillages contre lui. Et il sentit une douce chaleur monter le long de son cou. Il répondit simplement : — Oui. Et il monta dans sa chambre. — Tu sais que tu as tes devoirs de vacances ! Là, Charlie ne lui répondit pas. Les devoirs de vacances ne l’intéressaient pas. Sa mère insista: — Tu sais que je peux t’aider ? Mais la porte de la petite chambre de Charlie s’était déjà refermée.
Chap.4 Le carnet La chambre de Charlie n’était pas très grande. Juste la place d’un lit, un petit bureau, quelques étagères où s’entassaient des livres et des coquillages. Un magnifique tapis marocain sur le plancher de bois. Pendant qu’il était à la plage, sa mère avait soigneusement fait le lit, et elle avait posé au milieu de son bureau le cahier de devoirs de vacances, un crayon à papier et une gomme blanche. Charlie grogna très fort. Plus que tout, il détestait les devoirs de vacances. Du français et des maths. Des questions qui ne l’intéressaient pas. Des exercices stupides qui lui faisaient perdre son temps pour les coquillages et les dessins. Mais sa mère avait promis à la maîtresse qu’il s’entrainerait pour faire une bonne rentrée ! À l’école, c’était assez facile de faire du français et des maths. Il y avait Muriel, son AVS, qui aidait Charlie à répondre aux questions du livre. Et Muriel était gentille. Mais pendant les vacances, Charlie refusait de travailler. Charlie ouvrit le rideau d’un coup sec.