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Marion, reine du fast food

Marion, reine du fast food

9-12 ans - 30 pages, 8437 mots | 1 heure 02 minutes de lecture | © Fanny Joly Numérik, 1998, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Marion, reine du fast food

9-12 ans - 1 heure 02 minutes

Marion, reine du fast food

Marion et son Charles de frère sont scandalisés : cet été, pas de vacances au soleil ! Au lieu de ça, les parents ont décidé de refaire la cuisine de la maison à neuf… Charles ne baisse pas les bras : pour financer son plan-vacances-de-rêve-avec-son-meilleur-pote-Félix il se fait embaucher chez Fast-Burger. Et Marion, alors ? Elle resterait sur le bord de la route ? C’est ce qu’on va voir ! Un roman régalant, à dévorer sans modération. 9/15 ans. 96 pages.

"Marion, reine du fast food" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Marion, reine du fast food

Marion, reine du fast-food Un roman de Fanny Joly, illustré par Catel Fanny Joly Numerik


ChAPITrE 1 Un été mal embarqué — Alors, on fait quoi, finalement, cet été ? Les jambes en travers du canapé, la télécommande sous les doigts de pied, mon cher frère lance, ou plutôt relance le sujet. Personnellement, je l’avais déjà abordé dès février. En mars, j’avais insisté. En avril, j’ai accentué la pression. En mai, je suis passée aux suggestions. Les Tropiques ? L’Amérique ? Une croisière ? Une île, au moins, quelque part ? Devant l’absence de réponse claire, j’ai fini par renoncer. Pour l’instant, Charles n’obtient pas plus de réponses que moi. En un sens, ça me rassure. Mais lui n’abandonne pas. Il baisse le son de la télé et augmente celui de sa voix.
— Donc, pour les vacances, le programme ? Le regard gêné que papa jette à maman m’inquiète brusquement. — Tu ne leur as rien dit, Christine ? — Non... Toi non plus, apparemment... — Non... Mais vas-y, toi... rien de bon. — Eh bien, cet été, on fait la cuisine ! finit par lâcher maman. Les interminables jambes de mon frère retombent lourdement sur le parquet. — hein ? Le temps que je me demande quel genre de stage 4 diététique ou de séjour en milieu potager maman est allée dénicher pour les vacances, la voilà qui sort de son sac un dossier sur papier glacé, où une blonde au sourire niais fait semblant d’éplucher des légumes au milieu d’une cui- sine rutilante, le tout sous un gros titre rouge : « Cuisines Onrev. » — Voilà, explique papa, au lieu de se priver un an durant pour s’offrir trois semaines de vacances l’été, votre mère et moi avons pensé à un projet qui nous fera plaisir toute l’année. On refait la cuisine à neuf ! Sourire commercial de maman, qui enchaîne illico : — Quand vous allez voir ça, mes enfants ! Placards encastrés, hotte aspirante à trois vitesses, congélateur, micro- onde, friteuse, four avec rôtissoire intégrée... J’ai l’impression d’avaler un œuf dur. Tout rond. Avec la coquille. — C’est un gag ? éructe Charles. Le sourire de maman se mue en un rictus pincé. — reste poli, s’il te plaît ! Ton père vient de payer les 30 % d’acompte à la commande, alors il n’a pas envie de plaisanter ! Le regard que mon frère me lance est catastrophé, mais solidaire, pour une fois. — Et nous, alors, on va faire quoi ? — Nous ? fait mine de s’étonner papa. Eh bien, on va surveiller le chantier ! — Non... Je veux dire, Marion et moi... — Marion et toi ? Vous n’êtes pas manchots, non ? Dès que le gros œuvre sera fini, j’espère que vous nous donnerez un coup de main pour avancer la peinture, les finitions et la menuiserie.
— Merci, mais la menuiserie, c’est pas ma spécialité, grimace mon frère avec son air suffisant de premier de la classe qui me crisperait totalement si mes capacités de crispation n’étaient pas déjà mobilisées à 100 %. Maman met les mains sur ses hanches. — Non mais, regardez-moi ces enfants gâtés ! On se paie enfin la cuisine dont on rêve depuis quinze ans... — La cuisine dont tu rêves, maman, me semble-t-il utile de préciser. — Et alors ? Vous n’y mangez pas, dans cette cuisine, peut-être ? Ce n’est pas quand vous aurez quitté la maison qu’on se mettra à la rénover ! — Ce n’est pas cet été qu’on va la quitter, la maison, on dirait ! commente mon frère d’un air lugubre. — Vous savez combien de Français partent en vacances, d’abord ? Même pas un sur quatre ! J’ai lu ça dans un journal l’autre jour. Où est-ce que j’ai vu ça, déjà... Tandis que maman commence à soulever les couches de journaux entassés sur la table basse, Charles grince : — Ils n’habitent peut-être pas à Issy- les-Moulineaux, non plus ! — Comment ça ! Ils n’ont pas la chance d’habiter à Issy-les-Mouli- neaux, tu veux dire ! Avec tout ce que fait la municipalité : la piscine, le stade, le centre culturel... — Et qu’on paie avec nos impôts ! tonne le contribuable excédé qui sommeille toujours en papa. — D’ailleurs, je suis sûre que la municipalité organise des activités, des excursions, des... hasarde maman dans la foulée. — Peut-être même qu’on nous promènera en rang par deux si on est sages, ricane mon frère. — Cela dit, si Charles et Marion veulent absolument bouger, ils peuvent toujours aller chez ta mère, lance papa. — Tout à fait ! Ce serait gentil de rendre visite à Mamika. Vous y alliez tout le temps, avant. Vous vous amusiez beaucoup là-bas ! — Z’ai zuste peur que mes zambes soient trop grandes 7 pour la balanssssoire, zozote mon frère en faisant mine de sucer son pouce. Maman hausse les épaules. — Charles a décrété qu’il ne voulait plus y mettre les pieds ! Et comme sa sœur répète tout ce qu’il dit... Quel scandale ! Sous le choc, je me lève. — Quoi ? Je répète tout ce qu’il dit, moi ? — Tu devrais répéter un peu plus, tu aurais peut-être de meilleures notes ! pouffe mon frère. — Et, d’ailleurs, Marion, insiste maman, si tu t’étais mieux entendue avec cette adorable Jennifer, elle t’aurait invitée en Angleterre, cet été.
— Je me suis super bien entendue avec Jennifer ! Ce n’est pas de ma faute si son père a été muté en Australie. Vrai ou faux, papa ? Mais si vous vou- lez me payer un billet pour Sydney, allez-y ! Je préfère ça à une rôtissoire ! — Oui, bon, tranche papa, c’est pas le tout ! J’ai faim, moi ! Alors, en attendant de manger des ortolans dans notre cuisine trois étoiles, qu’est-ce qu’on se met sous la dent ? Ce soir-là, Charles, qui habituellement dévore toute son assiette, plus la moitié de la mienne, plus la totalité de ce qui reste dans le plat, a grignoté deux bouts de jambon d’un air dégoûté. Puis il est monté. Quand j’ai poussé la porte de sa chambre, il était allongé par terre, sans musique et sans lumière. — Pfff... Ils sont fous, les parents. Pas de réaction. Mon frère est une momie. — remarque, on s’était bien marrés la dernière fois chez Mamika. Tu te souviens ? C’était juste avant que tu partes en Espagne, tu m’avais appris à jouer au poker... Il se redresse mollement sur un coude, l’œil glauque. — Je t’ai appris à jouer au poker, moi ? Que l’un de mes meilleurs souvenirs n’ait apparem- ment laissé aucune trace dans sa mémoire n’est pas fait pour me remonter le moral. Une bouffée de nostalgie alourdie d’amertume me plombe. Mais, bravement, je poursuis : — Si on emmène nos vélos et la tente qui est au grenier, on peut sans doute monter un plan sympa chez Mamika... — Écoute, ton plan sympa, tu le prends, tu le plies... Et pour bien m’enfoncer, moi et mon mètre cin- quante et un, il ajoute : — ... Et tu le ranges dans ta valise, bien au fond, avec ta poupée par-dessus, petite ! Les jours suivants, sous le soleil de juin, la classe bruisse de projets comme une agence de voyages. Irlande, 9 Autriche, Côte d’Azur, Italie, Allemagne, Espagne... j’ai l’impression d’être ficelée au quai, condamnée à regarder les autres appareiller. Mouillaud, ce gros bêta, part visiter la russie. Mon copain Juanito profite du retour annuel de sa famille au Portugal pour pousser jusqu’au Maroc. Il serait tout prêt à m’emmener sur le porte-bagages de sa moto bi-tri-quadri-cylindrée. Mais comment faire accep- ter ça à mes parents ? Là, je dois dire, c’est moi qui cale. Quant à Camille, ma meilleure amie, même si elle fait de louables efforts pour compatir à mon triste sort, ses yeux lancent des étoiles dès qu’elle me parle de son tour des États-Unis, organisé spécialement pour elle par son père
et sa nouvelle fiancée, Alison. — Ce serait génial si tu pouvais venir, Marion. Mais tout est organisé depuis plus de six mois, tu imagines ? J’imagine, merci. Mais le pire, c’est cette pimbêche de Coralie Mus- sery, qui s’envole pour l’Indonésie dès mardi. À la dernière récréation, elle s’est approchée de moi, en crabe. — Et toi, Marion, tu fais quoi, cet été ? — Moi, j’ai un projet super, un... un genre de randonnée avec mon grand-frère... Le plus difficile, c’est d’avoir l’air d’y croire.
Le lundi suivant, au dessert, tandis que j’hésite vaguement entre une poire et un flan, mon frère ajuste son sourire carnassier avant de lancer : — C’est grave si je ne suis pas là, cet été ? — Comment ça ? fronce papa par-dessus ses lunettes. — Non, parce que j’ai un projet pour le mois d’août... avec Félix... Il vient d’avoir son permis et... En dehors d’être le copain préféré de Charles, Félix est mon copain préféré de tous les copains de Charles. Dès que je l’ai vu—à l’époque, il était en CE2 et moi en CP—, j’ai eu un faible pour lui. Avec le temps, ce faible est devenu de plus en plus fort. Il faut dire que, dans son genre, Félix est un genre de perfection. Quand il était petit, il était trop mignon et trop gentil. Maintenant, il est carrément trop beau. Et toujours aussi gentil. Bien sûr, toute les filles lui tournent autour. Les Coralie, les Blandine, les Sophie et les autres ne passent jamais une récré sans se pendre à son cou, et je sais très bien que moi, pauvre Marion Girardon, je ne serai jamais rien d’autre à ses yeux que la petite sœur, la toute petite sœur de Charles ; mais quand il me parle, j’oublie tout. Et quand il me sourit, j’ai l’impression de grandir d’au moins dix centimètres. — Son permis ? bondit papa. Mais quel âge a-t-il ? Il a redoublé combien de fois ? — Il est du début d’année, c’est tout. Et, si tu veux savoir, il a 14 de moyenne. — Il n’a pas de voiture, quand même ? — Non, sa mère lui prête la sienne... — Sans doute une vieille guimbarde, lance maman, qui a tendance à croire que toutes les voitures ressemblent à notre antique Gling-Gling-Plotoploc-Ford, dont on se demande à chaque virage si elle ne va pas tomber en pièces détachées. — Non, une voiture neuve ! cingle Charles. Et, sans laisser à la mine dépitée de maman le temps de s’installer, il démarre, tel un guide touristique survolté : — Alors voilà, on s’est organisé un méga-tour des châteaux de la Loire : Chambord, Chenonceaux, Amboise, Azay-
le-rideau. On va étudier l’architecture romane, gothique et renaissante. Les voûtes en ogive, les arcs-boutants, les mâchicoulis, les gargouilles, tout ça... Le traître a préparé son coup. Il étale sur la table une 14 espèce de dépliant, à mi-chemin entre la carte routière et le contrôle d’histoire-géo. Évidemment, maman plonge aussitôt. — Oh ! Azay-le-rideau ! Tu te souviens, Bernard, des tapisseries de l’escalier d’honneur ? Quelle merveille ! — Mmmhhh, commente papa, évasif. Et comment tu finances ta petite affaire, Charles ? — No problem, j’ai trouvé du boulot jusqu’à fin juillet ! Maman s’extirpe de ses rêves de tourelles et de clo- chetons. — Du travail ? Où ça ? Là, le ton de mon frère se fait un peu moins triomphant. — Boulevard Blanqui... Chez... Fast-Burger... — Quelle horreur ! — Et alors ? plaide Charles. Si ça me permet de faire un voyage super intéressant ! L’argent n’a pas d’odeur, comme on dit... — Ah si ! Justement ! L’argent de Fast-Burger, il sent la frite et la mauvaise graisse ! Et l’américanisation, aussi ! Et que veulent ces gens-là ? Se remplir les poches de dollars en nous faisant ingurgiter leurs cochonneries ! Et leur Coca ! Même pendant les repas ! Et tu sais ce qui arrive si tu laisses une dent... — ... « tremper une nuit dans du Coca, y a plus de dent », continue mon frère. Mais ça, c’est une rumeur, maman. Et puis, on n’est pas obligés de se nourrir de hamburgers 15 et de Coca pour travailler chez Fast-Burger... — Tu as dû en avaler une bonne quantité pour arriver à te faire embaucher là-bas. — Inutile de demander pourquoi monsieur ne veut pas de carte de cantine, observe sombrement papa. — Et moi ? Personne ne m’a jeté un coup d’œil depuis dix mi- nutes. Mon frère monopolise tout. Même le pot de glace vanille-cookies, dans lequel il cesse un instant de piocher à larges pelletées, pour se tourner vers moi, l’air mauvais. — Quoi, toi ? — Moi, je vais rester toute seule ?
Maman me passe le bras autour du cou comme si j’avais cinq ans et demi. — Tu ne seras pas toute seule, ma chérie, tu seras avec nous ou avec Ma- mika... L’image de Félix en bermuda dans un château renaissance me donne une inspiration soudaine. — Moi aussi, ça m’intéresse, les châteaux de la Loire ! Apparemment, j’ai mis dans le mille. — C’est vrai, approuve maman, ce serait instructif pour Marion également. C’est tellement magnifique ! L’œil de Charles se fait plus noir que l’épluchure de radis noir qui traîne dans l’assiette de papa. — Oui, non, mais hé ! Moi, je travaille pour me les payer, mes vacances ! — Mais Marion a de l’argent de côté. Et puis, au besoin, on pourrait participer, propose maman dans un élan de générosité quasi historique. — Alors là, c’est dégoûtant ! explose mon frère. Si vous aidez Marion, pourquoi je me décarcasse à bosser, moi ? Quel culot ! Quand je pense qu’une partie de mes économies a servi à lui offrir des CD à Noël ! Alors que lui, ce radin, m’a donné un bain moussant prétendument à la pomme verte, qui sent la poudre à récurer. Il l’a sûre- ment acheté au rabais. Et, en plus, je ne prends jamais de bain ! Écœurant ! D’ailleurs, il a dû se sentir morveux : après le dîner, il a fui comme une anguille. Je suis montée, il est descendu. Je suis descendue, il est monté. Quand je me suis approchée de sa porte, je l’ai entendu la fermer à clé. Finalement, je l’ai coincé par surprise en train de se laver les dents dans la salle de bains. — Tu veux pas que je vienne, c’est ça ? — Faudjrait peut-être me djemandjer mon avis avant dje tenter che genre d’incruchte. Et churtout l’avis de Félixche... Inutile de me le dire deux fois. J’ai vérifié son emploi du temps. Le mardi, Charles a cours à 8 heures. Je me suis levée à 6 heures. Dans la pénombre, j’ai repensé à cette vieille actrice qui s’habille en rose dans l’espoir que sa vie sera moins noire. J’ai mis mon pull rose, mes baskets roses, et j’ai filé avant que mon frère n’ait pointé le nez hors de sa couette. Le métro aérien m’emporte à travers l’aube violacée, parmi les premiers Parisiens filant, mornes, vers leur morne journée... En bas de chez Félix, la concierge en robe de chambre fleurie-fanée passe son premier coup de balai.
À quel étage habite- t-il, déjà ? Troisième ? Quatrième ? Tout est éteint. J’attends. La concierge me dévisage comme si j’étais fichée au grand banditisme. — Z’attendez quelqu’un ? Je m’éloigne, l’air de rien. — Oui, oui... Non, non... Quelques gouttes commencent à tomber sur ma pimpante tenue d’été. J’aurais dû prendre un parapluie. Trop tard, la porte s’ouvre. Lui ? Non, un basset, truffe à ras de terre, tirant un vieux monsieur chiffonné sous un chapeau de feutre gris. 7 heures. 7h10.7h20. Je fais les cent pas sous la pluie. La seule chose qui bouge, c’est le rideau jaunâtre derrière lequel la concierge me guette à intervalles réguliers. Je commence à ressembler à un caniche mouillé. Au moment où je tente de me recoiffer dans le reflet d’une porte vitrée, Félix sort du porche, en courant, une tartine à la main. Il ne m’a pas vue. Moi qui voulais avoir l’air de le rencontrer par hasard, je lui cours après comme s’il venait de me voler mon porte-monnaie. — Félix ! Félix ! Il se retourne. M’observe. Son regard, pour une fois, n’est pas complètement gentil... — Marion ? Qu’est-ce que tu fais là ? — Je sors de chez une cousine... une copine... Enfin, t’en parles surtout pas à mon frère, parce que lui, il me croit chez... — Oui, bon, tu m’excuses, mais je suis en retard. J’ai un contrôle de physique et, si je rate le bus, je suis mal. Mal ? Pas autant que moi ! J’entreprends de le suivre à petites foulées. — Oui, non, juste une chose : c’est super, dis donc, le projet que t’as avec mon frère, pour cet été... — Ah... Il t’a raconté... — J’étais là quand il en a parlé aux parents. Et, justement, maman a eu une super idée : ça te dérangerait si je venais avec vous ? Félix met sa main devant sa bouche. Un peu comme s’il voulait y faire entrer toute sa tartine d’un seul coup. — Toi ? Oh non ! Au même instant, le bus apparaît au coin de l’avenue. Le beau Félix prend ses jambes à son cou, sans un mot de plus.