Extrait du livre Hôtel Bordemer Tome 4 : Le club des pingouins
Hotel Bordemer Tome 4 : Le club des pingouins de Fanny Joly et Christophe Besse aux éditions Fanny Joly Numerik
Le club des pingouins
Dans ce livre c'est moi Rosy Lengrais qui raconte l'histoire. J'ai 10 ans.
Chapitre 1 Rien dans les poches ! Est-ce qu'on se connaît ? Pas sûr... Je préfère me présenter. Mon grand-père dit qu'il vaut mieux se présenter deux fois que zéro. Donc, je m'appelle Rosy Lengrais, je suis la petite-fille de Joseph Lengrais qui est lui-même jardinier à l'Hôtel Bordemer à Crique-les-Bains. J'ai des centaines de taches de rousseur deux yeux verts, des pieds un peu trop grands et une chambre un peu trop petite, mais avec des espaliers, une corde à nœuds et des anneaux pour m'entraîner en gymnastique. En gym, sans me vanter, je suis championne. Georges-Albert, le fils du patron de l'Hôtel Bordemer, dit que je frime avec mes notes de gym. Evidemment, lui, il n'arrive même pas à sauter quarante centimètres... Mais quand il parle de ses notes de maths et de français, alors là, il faut l'entendre ! S'il réussissait le saut périlleux arrière comme moi, il n'aurait pas fini de frimer, à mon avis ! Mais bon chacun ses petits défauts. Georges-Albert trouve que j'en ai des tonnes, que je bouge trop, que je ne réfléchis pas assez. Moi je trouve que lui, c'est le contraire : il réfléchit trop et il ne bouge pas assez. Ça ne l'empêche pas de venir me chercher dès qu'il s'ennuie. Et ça ne nous empêche pas de bien rigoler ensemble. Certains jours. Les jours où on n'est pas en train de se disputer. Je vous ai parlé de mon grand-père, mais il faudrait peut-être que je vous le présente un peu mieux, lui aussi. Donc, il s'appelle Joseph Lengrais mais personnellement, je l'appelle Péjo. Péjo est LE jardinier de l'Hôtel Bordemer. Je dis LE jardinier parce qu'en le voyant travailler, on comprend vite que des jardiniers comme lui, il n'y en a pas trente-six. Il bichonne ses fleurs ses salades et ses haricots comme ' personne. D'ailleurs, personne n'a le droit d'y toucher, à part lui. Si vous venez à Crique-lesBains, vous ne pouvez pas louper l'Hôtel Bordemer : c'est le bâti-
ment le plus haut sur la plus haute falaise au-dessus de la mer. Suivez n'importe quelle mouette des yeux et vous tomberez forcément sur l'hôtel, avec son belvédère, ses 15 chambres et son escalier qui descend directement sur la plage. Au fond du jardin, il y a une petite cabane. Certains disent qu'avant, elle servait à ranger les outils. D'autres, que c'était une cabane à lapins. Peu importe. Cette cabane, depuis dix ans, c'est notre maison, à Péjo et à moi. Et on y est heureux comme des rois... Enfin... presque comme des rois. Parce que mon grand-père, lui aussi, a un vilain défaut : il ne veut jamais me donner d'argent de poche. Chaque fois que je lui parle de ça, il me regarde avec des yeux ronds comme des oignons : « De l'argent de poche, mais pour quoi faire, grands dieu!?! - Pour... Je sais pas moi, Péjo... Les petites choses qui font envie… - Mais de quoi donc est-ce que tu peux bien avoir envie, Rosy, ma parole !?! Tu n'as pas tout ce qu'il te faut, ici ? - Si... Si... Péjo, mais... Un journal... Des petits bonbons… - Des bonbons ! Voyez-vous ça ? Et le dentiste, c'est avec ton argent de poche que tu le paieras, aussi ? En tout cas, ce sera pas avec le mien, tiens, regarde ! » Et là-dessus, pour bien me montrer que je n'ai rien à espérer, il retourne ses poches, d'où tombent généralement un bout de ficelle, quelques graines, et deux trois cailloux... Vous voyez le genre. Autant essayer d'expliquer à la maîtresse qu'on aimerait mieux aller se promener que faire une dictée. Bien sûr, quand mes parents viennent, j'essaie de leur soutirer ce que je peux. Mais c'est gênant. D'abord mes pauvres parents n'ont pas d'argent plein les poches, eux non plus. Et puis ils ne viennent pas souvent. (Ils vendent des fleurs sur les marchés et sont toujours en déplacement.) Alors, dès qu'ils arrivent, je leur parle d'argent, et eux, ils m'accusent de ne penser qu'à ça ! Ils sont marrants ! Si j'en avais un peu plus, j'en parlerais
beaucoup moins ! Georges-Albert, par exemple, il n'en parle jamais, lui. Pas étonnant : toutes les semaines, son argent de poche tombe aussi régulièrement qu'une poule pond ses œufs. Dix francs par semaine ! Moi, en trois mois, j'en ai pas autant ! Alors je m'organise. Il faut bien. Pendant l'hiver, ça va à peu près. Comme Mme Simone, la cuisinière, nous prépare des goûters énormes et qu'il y a toujours des affamés dans la cour de récré, j'arrive à récupérer quelques sous en revendant des bouts de tartines, des oranges ou des mandarines... Et puis l'hiver, à Crique-lesBains, il n'y a pas trop de tentations. Les meilleurs magasins sont fermés. Mais dès que l'été arrive, c'est terrible. Dans la grande rue, les vitrines débordent -de nouveautés. Cette année, dès la fin juin, j'ai repéré au Bazar moderne un petit maillot de bain avec des dauphins bleus et jaunes ... Une pure merveille ! On aurait dit qu'il était là juste pour moi, qu'il m'attendait. Je suis entrée. Comme la vendeuse me regardait d'un air méfiant (elle me connaît, elle sait que je n'ai jamais d'argent), j'ai raconté que ma marraine allait venir d'Amérique et qu'elle m'avait demandé de choisir un cadeau qu'elle m'offrirait dès son arrivée. Je ne sais pas si c'est le mot « Amérique » qui a fait tilt, mais la vendeuse s'est déchaînée. En plus du maillot qui m'allait « comme un gant » (c'est ce qu'elle a dit, mais c'était vrai !), elle m'a
sorti des trésors de ses tiroirs : une casquette à double visière, une planche de surf escamotable, un Pédalo des sables, un bâton sauteur, un chronomètre waterproof pour battre des records sous l'eau, un bilboquet à hélice, un matelas de gym aquatique... « Et je vous ai gardé le meilleur pour la fin, elle a dit en ouvrant une petite boîte. Les balles de jonglage magiques : ultralégères, fluorescentes, en suédine synthétique... Votre marraine en a sûrement entendu parler : ça vient d'Amérique ! » J'adore jongler. D'habitude, je m'entraîne avec tout ce qui me tombe sous la main. Des carottes, des navets. J'ai essayé les balles magiques. Le mot magique n'est pas trop fort. Elles volaient et revenaient dans mes mains comme des oiseaux apprivoisés. Ma marraine imaginaire n'en avait pas entendu parler. Mais moi, je n'allais pas les oublier de sitôt. Chapitre 2 L'argent ne tombe pas du ciel Le soir, au dîner, entre les carottes et les navets cuisinés par Péjo (mon grand-père ne cuisine que les légumes de son jardin), je voyais des maillots à dauphins et des balles de jonglage partout. J'ai décidé de tenter ma chance. « Dis, Péjo, au fait : ça commence dans deux jours, les vacances ! - Mmmh... »
Péjo a avalé sa bouchée en me regardant en coin. Bien sûr, si j'avais eu un meilleur bulletin de notes à l'école, je me serais sentie plus sûre de moi. J'ai quand même continué sur ma lancée : « L’été, je suis tout le temps en maillot de bain, moi, tu sais... » Un éclair de méfiance a traversé l'œil de mon grand-père : « T'en as un, de maillot de bain! - Oui ... Mais il est de l'année dernière… - Et alors ? Tu ne vas pas me raconter qu'il est trop petit, je ne te croirai pas... C'est élastique, ces machins-là ! - C'est pas ça, Péjo, mais… C'est pratique d'en avoir deux… - Deux maillots de bain ! ? ! Mais pour quoi faire ! ? ! - Ben, parce que, quand y en a un qui sèche, on met l'autre et vice versa... » Péjo a haussé les épaules : « Vice versa ! Tu te payes ma tête ? Tu viens de me dire que tu ne le quittais pas, ton sacré maillot... Pas besoin de le faire sécher, il sèche sur ton dos ! » J'ai laissé tomber ma fourchette. Je n'avais plus faim. Le lendemain matin, j'errais dans le jardin en regardant Péjo travailler. Il faisait déjà chaud. Les gouttes de transpiration dégoulinaient de la moustache de mon grand-père comme du bord