Extrait du livre La Grande méchante Lou
La Grande méchante Lou Fanny Joly Christophe Besse Fanny Joly Numerik
ON PARLE tout le temps du grand méchant loup. C'est bien gentil, mais moi, j'ai à vous parler de quelqu'un de bien plus méchant que le grand méchant loup. Et en plus, c'est une histoire vraie, une histoire qui pourrait vous arriver, à vous. Alors que le grand méchant loup, on en parle, on en parle, mais on ne le voit Jamais... Pas vrai ? Ça, c'est la photo de ma classe de l'année dernière. Une classe apparemment normale : Vingt-quatre élèves, un mélange de tristes, de rigolos, de moches, de beaux, de timides et d'idiots... Comme dans toutes les classes, sans doute.
Devant, il y a la maîtresse, Marie-Thérèse Cornouillet, qui a passé l'année à nous répéter : — On n'est pas là pour s'amuser. (Là-dessus, je ne suis pas d'accord du tout.) Près d'elle, il y a les trois idiots premiers de la classe. Et ailleurs, tous les derniers, dont moi. Vous me reconnaissez ? Je suis au troisième rang, avec le pull, les lunettes et les deux chicots noirs dessinés au feutre indélébile sur les dents de devant. (C'est pas moi qui l'ai fait. Je vous expliquerai.)Je m'appelle ÉTIENNE. Mais regardez bien tout au fond. Vous voyez la tête de cette fille rousse qui a deux têtes de plus que tout le monde ?
Avec un long nez et un regard mauvais ? C'est elle, dont je veux vous parler. C'est LOU DUCLOU. La fille la plus effrayante que j'aie Jamais rencontrée. C'est moi qui ai eu l'idée de l'appeler la GRANDE MÉCHANTE LOU, et quand vous saurez de quoi elle est capable, vous trouverez que le grand méchant loup est un agneau, un nul, un zéro, à côté de la Grande Méchante Lou.
Le premier jour de la rentrée, on l'a tout de suite repérée. Elle est descendue d'une voiture noire, conduite par un type à casquette qui est parti sans se retourner. Elle était grande comme une maîtresse. Avec une cape, un drôle de béret, et aux pieds, des chaussures genre militaire, très montantes, pleines de lacets. — T'es nouvelle ? Comment tu t'appelles ? lui a demandé Suzy Lamoiseau qui veut toujours être au courant de tout. Elle a été vite au courant, Suzy ! Au lieu de lui répondre, Lou Duclou l'a regardée du haut de sa hauteur et lui a tiré une langue de vingt centimètres de longueur.
Pour que tout le monde puisse voir le tableau, la maîtresse a mis Lou au fond, près du radiateur. C'est Fred qui est tombé à côté d'elle. Fred Kimoune, un vieux copain, un peu grand mais surtout gros, et qui partage tout le temps ses bonbons, ses chewing-gums et ses loukoums. Plusieurs fois il a essayé de sourire à Lou Duclou, mais elle le fixait sans broncher, comme une vache regarde passer un train. Quand il a attaqué son premier paquet de chewing-gums, il lui en a tout de même proposé. Pas gênée, elle en a pris trois, et les a enfournés sans un mot. Mais le pire, vous savez ce que c'est ? A la fin de la journée, quand elle les a eus bien mâchonnés, au lieu de les jeter discrètement, elle s'est mise à rigoler et les a collés dans les cheveux de Fred en lui disant : — Va donc, hé gros lard !
Pauvre Fred, avec ses cheveux frisés et sa mère très très sévère, il était vert ! La cloche a sonné. La Grande s'est carapatée de toute la vitesse de ses grandes jambes. On s'est mis à plusieurs sur la tête de Fred, mais on n'a fait qu'aggraver le malheur. Il a été obligé de foncer dare-dare chez le coiffeur. Il est rentré chez lui à la nuit, sans chewing-gum, mais presque sans cheveux, et avec trois heures de retard ! Sa mère lui a flanqué une punition record : PLUS UN BONBON JUSQU'À NOËL ! Sous le choc, il a eu une crise de foie genre crise de nerfs. On ne l'a pas revu de la semaine.