Extrait du livre La grande méchante nounou
La grande méchante nounou. Une histoire de Fanny Joly illustrée par Christophe Besse. Editions Fanny Joly Numérik.
Une "nounou", dit comme ça, ça semble tout gentil, tout doux... On imagine une bonne grosse dame qui donne à manger à un bon gros bébé. Une bonne grosse dame qui ne ferait pas de mal à une mouche... Erreur, grave erreur ! Une nounou, ce n'est pas du tout ça. Ou plutôt, pas forcément ça. Il existe peut-être des bonnes grosses nounous quelque part, mais moi, je ne les connais pas. Et la nounou dont je vais vous parler, croyez-moi, elle est capable de faire du mal à bien plus qu'une mouche. A une armée de mouches. Aux vaches qui sont sous les mouches. Aux petits veaux qui broutent à côté. Et même à un village entier ! Bref, j'es-
père que vous ne croiserez jamais son chemin. Ou sinon... méfiez-vous ! Ce petit bout de papier chiffonné, c'est l'article qui est paru dans le journal, le lendemain. Vous vous demandez peut-être le lendemain de quoi ? Hé bien. . . le lendemain de l'histoire que je veux vous raconter. Si le papier est tout chiffonné c'est que je l'ai gardé longtemps dans ma poche. Tous les jours qui ont suivi, je n'arrêtais pas de le regarder. Comme si j'avais du mal à croire que c'est à moi que tout ça est arrivé. Mais d'abord, il faut que je me présente : « Etienne, 9 ans », c'est moi. Je suis un garçon plutôt calme et plutôt gentil. Ni très grand, ni très petit. Un garçon normal, vraiment pas le genre dont on parle dans le journal. Vous m'avez repéré sur la photo ? Je suis à gauche, avec les lunettes, près du camion de pompiers. On ne me voit pas bien parce que J'ai mon blouson à capuche. Et puis aussi, je baisse la tête. Il faut dire que j'étais gêné. Quand vous saurez ce qui s'est passé, vous comprendrez. Tout a commencé le jour de Noël. Ce Noël-là a mal démarré pour moi, dès le sapin. J'ai ouvert mes deux paquets : rien de ce que Je voulais. Les rollers n'étaient pas le modèle que J'avais choisi. En plus, ils étaient trop petits. Je n'ai même pas réussi à mettre mon pied
dedans pour les essayer. Quant à la super-console de jeux dont je rêvais, mes parents l'ont remplacée sans me prévenir par un jeu de construction en bois. Quand j'ai vu ça, je suis resté muet. Les mots coinçaient dans ma gorge. Tout ce que j'ai réussi à balbutier, c'est : — Mais. . . Mais... — Ce n'est pas Mémé qui t'offre ce jeu, c'est maman et moi ! a précisé papa avec un sourire qui m'a donné carrément envie de pleurer. — Pou. . . Pou. . . Pourquoi vous m'avez rien dit ? j'ai péniblement articulé. — Hé bien, parce que sinon, tu n'aurais pas eu la surprise ! Merci de la surprise ! (Je précise que pendant cette conversation, ma petite sœur, Manon, faisait des bonds de joie autour de moi, les bras chargés de tous les cadeaux qu'elle avait demandés et qu'elle avait eus, elle ! ) Mais les surprises ne faisaient que commencer. J'allais
avoir un autre cadeau dont je me serais bien passé. Tout en ramassant les papiers d'emballage, papa et maman ont échangé des petits regards complices, comme s'ils préparaient un coup. Ils m'ont fait penser à Kimoune et Momo, des copains de ma classe, le jour où ils ont voulu mettre un fil de Nylon en travers de l'estrade pour faire tomber la maîtresse, Marie-Thérèse Cornouillet. (Avant de tomber, elle a repéré le fil. Du coup, ce qui est tombé, c'est une punition générale...) — Les enfants, a attaqué maman, on a quelque chose à vous dire.. . — Oui, les enfants, a continué papa, cette année, notre vie va changer : maman va se remettre à travailler ! — Et alors ? a lâché Manon en continuant à coiffer sa poupée. Maman a hésité un instant. — Hé bien. .. C'est une bonne nouvelle, non ? Je suis très contente. Je vais aider Simone dans son entreprise de fleurs. Et. . . quand je ne serai pas là. . . Eh bien.. . C'est une nounou qui va s'occuper de vous... Au mot de « nounou » j'ai bondi : — Une nounou ! Mais pour quoi faire ? — Eh bien pour ranger, pour faire à manger, pour aller chercher Manon à l'école, pour vous donner votre bain. . . — Moi j'ai qu'à plus y aller, à l'école, je préfère rester à la maison, de toute façon ! a déclaré Manon. — C'est nul, une nounou ! — Etienne, je t'en prie ! Qu'est-ce que tu as contre les nounous ? C'est le mot qui ne te plaît pas ? On peut dire une baby-sitter, si tu préfères... J'ai eu beau expliquer que Je ne voulais ni nounou, ni baby-sitter, que je n'avais besoin de personne pour venir me chercher à l'école et encore moins pour me faire à manger, et encore-encore moins pour me donner mon bain, que j'étais le seul à savoir déboucher la baignoire et faire marcher le four à micro
ondes dans cette maison : rien à faire. C'était décidé. La nounou était embauchée. Pire, elle allait arriver dès que maman commencerait à travailler, c'est-à-dire le lundi d'après. CE LUNDI-LÀ, en me réveillant, je me suis souvenu que quelque chose clochait mais j'ai mis un moment à retrouver quoi. Ça m'est revenu d'un coup, quand j'ai croisé maman dans le couloir, habillée, coiffée, parfumée comme si elle partait en soirée. Manon lui courait après : — Pourquoi tu t'es faite belle, maman ? Où on va ? — Nulle part, ma chérie. Moi je vais travailler. Vous, vous avez encore un jour de vacances, alors vous restez à la maison gentiment avec la nounou qui va arriver. — Elle est gentille, la nounou ? Elle a un cadeau pour moi ?
Ma petite sœur me tue. Elle ne comprend vraiment pas grand-chose à la vie. Primo, c'est principalement à cause d'elle qu'on se ramasse une nounou et elle ne se rend même pas compte que c'est très probablement une mauvaise nouvelle. Deuxio, elle a déjà des cadeaux plein son coffre à jouets, on n'arrive même plus à le fermer. Et elle croit que ça va continuer comme ça : Noël tous les jours de l'année. Je suis sorti de ma chambre, l'air grave : — A quelle heure elle arrive ? Maman m'a embrassé tout doucement, pour ne pas abîmer son rouge à lèvres. — On dit bonjour, d'abord, Etienne. Tu as bien dormi ? — Non, pas très bien. A quelle heure elle arrive ? — Qui ça, la nounou ? Maman a jeté un coup d'œil à la pendule du salon : — Elle devrait être là depuis 17 minutes exactement. Elle est en retard. Et si ça continue, je vais être en retard, moi aussi. Pour le premier jour, ça commence mal. Heureusement que je connais bien Simone, je lui expliquerai, elle comprendra... Tiens, ça me donne une idée. Je vais préparer une liste des choses à faire, en attendant, pour gagner du temps... Maman a pris un crayon et elle a commencé à écrire sur le rouleau de papier qui est accroché au frigo. A chaque ligne, elle regardait sa montre. Le papier touchait presque par terre quand on a sonné à la porte.
C'est moi qui suis allé ouvrir. Une fille toute ronde, toute mouillée, à peine plus grande que moi, était en train de s'essuyer les pieds sur le paillasson. Elle avait un ciré jaune, un sac à dos, des bottes en plastique violet et des cheveux noirs frisés retenus par un gros nœud comme autour des œufs de Pâques. Elle m'a embrassé : — Bonzour ! Comment tou t'appelles ? — Euh... Avant que je dise un mot, un gros chien noir, aussi frisé que la fille mais encore plus mouillé, a surgi de ses jupes pour venir me lécher les mains. — C'est ici, la famille Trudotte ? a demandé la fille aux bottes violettes. — Trudot ! a rectifié maman qui venait d'arriver dans mon dos. La fille a tendu la main comme si elle venait de traverser la France à pied pour le plaisir de dire bonjour à maman. — Ah ! Ah ! Bonzour madame Trudotte ! C'est moi Mirna de l'azence Fée dou Lozis ! Le chien s'est faufilé dans l'entrée et a commencé à s'ébrouer en balançant de la gadoue partout. Mirna l'a regardé en souriant tendrement. Maman ne souriait pas du tout. — C'est à vous, ce chien ? a demandé maman d'une voix étranglée. — Oui, c'est Rodrigo ! Il est très zentile ! Ah ! Maman n'a pas eu l'air de trouver très « zentile» la manière dont Rodrigo a sauté sur le canapé.