Extrait du livre Les Deux Paysages de l'Empereur
Depuis l’Antiquité, le royaume du Sichuan en Chine est réputé pour ses paysages majestueux, ses terres fertiles, son peuple courageux et ses richesses. Si les divinités devaient séjourner sur notre terre, c’est dans ce pays des nuages qu’elles poseraient les pieds.
Le royaume du Sichuan est aussi connu pour la grâce de ses jeunes filles. La plus belle d’entre elles est certainement la fille du roi. On l’appelle Lan, « Brume de montagne ». Cette beauté si pure ne pouvait échapper à l’attention du jeune empereur de Chine. Succombant au charme de Lan dès leur première rencontre, il s’empresse de demander au roi qu’il la lui donne en mariage. Lan est triste à l’idée de quitter sa famille, mais elle ne compte pas résister à l’amour ardent de l’empereur, qui lui fait chavirer le cœur. Elle accepte de l’épouser. Une cérémonie d’adieux est organisée le jour du départ de la princesse pour la capitale de l’Empire. De son palanquin, Lan contemple la route sinueuse de son Sichuan natal et songe : « Quand te reverrai-je, pays des nuages ? Le chemin du retour sera long… » Autour d’elle, la brume s’élève au-dessus des sommets montagneux avant de se dissiper dans le ciel d’azur. La musique de la fête s’éloigne jusqu’à bientôt devenir imperceptible.
Après son mariage, Lan commence une nouvelle vie dans le palais, où l’empereur la couvre de l’attention la plus tendre qu’un époux puisse offrir. Pourtant, Lan se rappelle souvent le pays de son enfance. Elle se sent alors seule loin des siens. L’empereur s’inquiète de voir sa bien-aimée s’attrister et tente de la consoler. Pour cela, il ordonne à la cour de se mettre à la mode du Sichuan. Tandis que le chef cuisinier crée de nouveaux menus composés de plats exquis du Sichuan, le maître tailleur fait venir de ce royaume des tissus soyeux dans lesquels il taillera les plus somptueuses robes pour Lan. Le maître de musique, quant à lui, répète assidûment des airs du pays de Lan pour faire danser et chanter les courtisanes. Malgré le spectacle réjouissant de ces divertissements, les couleurs disparaissent chaque jour un peu plus des joues de Lan, comme la brume en s’effaçant quitte les vallées.
L’empereur fait les cent pas dans le palais à la recherche d’un vrai remède à la langueur de Lan. En passant devant l’Académie des arts, il découvre une galerie aux deux grands murs blancs. Une idée lumineuse lui vient à l’esprit : là, il commandera à deux peintres de représenter les paysages du Sichuan. Il espère ainsi que la princesse se sentira davantage chez elle dans le palais. Aussitôt, maître Li et maître Wu, les deux peintres les plus talentueux et les plus appréciés de tout l’Empire, sont convoqués devant l’empereur : « Vous peindrez chacun une vue du Sichuan sur un mur. Dans trois mois, ce sera l’anniversaire de princesse Lan et pour elle je veux les plus beaux paysages du monde. Maintenant, à vous d’agir ! » Après avoir reçu l’ordre impérial, les deux peintres s’éclipsent, pleins de déférence.