>   Ne m'appelez plus Grochouchou
Ne m'appelez plus Grochouchou

Ne m'appelez plus Grochouchou

6-8 ans - 37 pages, 7715 mots | 57 minutes de lecture | © Fanny Joly Numérik, 1998, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Ne m'appelez plus Grochouchou

6-8 ans - 57 minutes

Ne m'appelez plus Grochouchou

Marie-Berthe est très bête, Jean-Claude est très laid, mais ils sont très riches. Leur fils Clodobert, beau comme son père et intelligent comme sa mère, est un petit monstre prétentieux, méchant et ignorant. C'est en tombant amoureux de la jolie Clo que Clodobert découvrira que le monde ne se résume pas à sa suffisante personne...

"Ne m'appelez plus Grochouchou" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
Du même éditeur :
Autres livres écrits par Fanny Joly : Voir plus
Autres livres illustrés par Christophe Besse : Voir plus

Extrait du livre Ne m'appelez plus Grochouchou

Ne m'appelez plus Grochouchou Fanny Joly & Christophe Besse


1 IL ÉTAIT UNE FOIS, dans un pays très loin d'ici, un homme qui s'appelait Jean-Claude. Cet homme, Jean-Claude, était riche. Très riche. Tellement riche qu'il ne savait même pas exactement le montant de ses richesses. Mais ce qu'il savait, et ce que tout le monde savait autour de lui, c'est qu'il était bel et bien l'homme le plus riche de son pays. Avec tout son argent, Jean-Claude faisait la pluie et le beau temps. Ou plutôt, la pluie et le beau temps étaient peut-être les deux seules choses qu'il ne pouvait pas faire, justement... Mais pour tout le reste, pas de problème. Jean-Claude pouvait construire un pont. Le détruire la semaine suivante. Fabriquer du vin avec des
potirons. Obliger les chiens à porter des chapeaux melon. Ou les bûcherons des poignets de dentelle. Faire que les carrés de chocolat soient ronds. Ou les saucissons carrés. Pour ne citer que quelques exemples en passant... Un soir, Jean-Claude eut l'idée de faire un enfant. Il en parla à sa femme, Berthe-Marie, qui somnolait devant la télé géante du grand salon de leur gigantesque maison : — Chérie, lui dit-il, je deviens un peu vieux et gros, ne serait-ce pas le moment pour moi d'avoir un fils ? — Mon ange, voyons, vous êtes toujours aussi jeune et beau que le jour de notre mariage ! lui répondit Berthe-Marie en bâillant. Mais si un fils peut vous faire plaisir, je ne dis pas non. Les pauvres en ont. Pourquoi pas nous ? Quelques semaines plus tard, les robes cintrées de Berthe-Marie commençaient déjà à la serrer : elle attendait un bébé. Jean-Claude était fou de fierté. Il montrait à tout le monde le ventre rond de sa femme en disant : — Vous avez vu ? C'est moi qui ai fait ça ! Un soir, peu avant la naissance, il déclara à son épouse : — Chérie, cet enfant que vous portez sera intelligent comme moi et beau comme vous. Je le sais. Je le sens. Et pour fêter cet événement, nous l'appellerons de nos deux prénoms mis bout à bout: Clodobert. Formidable, non ? Berthe-Marie resta un assez long moment à répéter :
— Clo-do-bert, Clo-do-bert... sans paraître comprendre. Puis, soudain, elle se frappa le front : — Clod-o-Bert ! Mais bien sûr : ça commence comme Claude et ça finit comme Berthe ! En plus, c'est nos deux noms ! La fin du vôtre et le début du mien ! Je n'y aurais jamais pensé ! Ce que vous pouvez être malin, tout de même ! — Je sais, je sais... approuva Jean-Claude en caressant sa barbe rousse. Hélas, dès que l'enfant fut né, on s'aperçut rapidement qu'il était beau... comme son père, c'est-à-dire franchement laid. Et intelligent... comme sa mère, c'est-à-dire pas futé-futé... Mais qu'importe ? Jean-Claude décida que son fils était adorable, merveilleux, charmant, délicieux et que tout le monde allait l'aimer, le choyer, le chouchouter, le bénir et l'acclamer. Ce que tout le monde s'empressa de faire, évidemment.
2 DIX ANS ont passé. Clodobert n'est plus un bébé. Il est un garçon d'un mètre vingt environ, avec le menton en galoche, un gros nez mou, des petits yeux de cochon et des cheveux en tire-bouchon. Qu'il soit (même si personne ne se risque à le dire à haute voix), franchement gros et franchement moche, n'est pas le plus grave. Loin de là. Le plus grave, c'est qu'il n'a pas seulement des yeux de cochon : il en a aussi le caractère. Un caractère de pur cochon. C'est bien simple : Clodobert râle tout le temps. Du matin au soir et du soir au matin. Et quand il ne râle pas, il ronchonne. Et quand il ne ronchonne pas, il bougonne. Et quand il ne bougonne pas, il grogne... Le matin, la servante chargée de le réveiller entre dans sa chambre sur la pointe des pieds : — Coucou, c'est votre nounou qui vient vous faire un câlinou, monsieur Grochouchou... A ces mots, Clodobert ouvre un œil mauvais entre ses moelleux oreillers : — T'arrêtes avec tes Grochouchou, oui ? Y a rien de tel pour me mettre les nerfs en pelote dès le matin... — Mais... Mais... Votre maman vous appelle toujours Grochouchou, monsieur Clodobert... J'ai cru bien faire... — La prochaine fois que tu crois bien faire, tu la boucles, capté ? Et c'est parti... Quand elle s'approche de Clodobert, la cuisinière chargée de préparer son petit déjeuner tente de garder le sourire malgré l'inquiétude qui lui noue l'estomac : — Dites-moi, petit homme, qu'est-ce qui vous ferait plaisir ce matin, des corn flakes ? — Ce qui me ferait plaisir, c'est que t'arrêtes
de m'appeler " petit homme " déjà, pour commencer ! " Grand homme " si tu veux, mais " petit " jamais ! Et puis, dis donc, tu ne te foules pas pour avoir des idées: les corn flakes, on ne voit que ça à la télé ! — Alors, euh... Une tartine grillée avec un bol de chocolat ? — Non mais Je rêve ! Propose-moi de la tisane pendant que tu y es ! — De la tisane, vous voulez ? s'écrie la brave femme, pleine d'espoir. — Ben voyons ! Et pourquoi pas de la purée et du boudin ? Tiens, c'est toi le boudin ! ricane Clodobert en se renfonçant sous sa couette. Pour la lingère, la tâche n'est guère plus facile. Lorsqu'elle arrive, les bras chargés de cintres et de housses, Clodobert fait généralement semblant de dormir... (C'est l'un de ses gags favoris.) Elle s'approche tout doucement : — Alors, alors, on fait dodo... Comme il ronfle au lieu de répondre, elle élève un peu le ton : — Voyons, voyons, comment va-t-on s'habiller aujourd'hui ? — Pfff, pourquoi toujours s'habiller ? finit par grogner Clodobert. — Allons, allons, Clodobert, vous n'allez pas recommencer ! — C'est toi qui recommences tous les matins ! — Regardez ! Ce joli pantalon de velours gris avec le joli pull assorti... — Beurk ! Ça gratte ! — Et cette adorable salopette en soie ?
— Arrrgh... Je vais avoir l'air d'un imbécile avec ça... La lingère brûle d'envie de dire à Clodobert que l'air d'un imbécile, il l'a déjà. Mais elle n'en fait rien. Elle a bien trop peur de perdre sa place. — Et ce polo en poil de chameau ? — Nul, j'aurais trop chaud ! — Et ce tee-shirt avec des petits cœurs et des petits chats ? — Naze, j'aurais trop froid... Vers midi, Clodobert n'est généralement ni levé, ni lavé, ni nourri... Mais toujours en train de grogner dans son lit. Quand Berthe-Marie, sa mère, passe par là, il grogne plus fort pour qu'elle l'entende. Aussitôt, bien sûr, elle se précipite : — Mon pauvre bébé, mon pauvre doudou, mon Grochouchou, tu n'as rien à manger, rien pour t'habiller ? Où sont ces maudites domestiques qui ne s'occupent pas de toi, je vais leur chauffer les oreilles, moi ! Grochouchou n'aime rien tant qu'entendre les domestiques en question se faire incendier pendant qu'il se prélasse dans son lit. Et si Berthe-Marie met à la porte l'une ou l'autre de ces pauvres femmes, sa jubilation atteint des sommets. Tout doucement, il sort alors de sous son matelas un petit carnet dans lequel il inscrit une croix. Il en est à 47 croix...
3 AINSI va la vie dans la luxueuse demeure lorsqu'un soir, Jean-Claude convoque Clodobert dans la salle des coffres-forts : — Mon fils, tu vas avoir dix ans, il est temps que tu sois au courant du patrimoine que j'ai l'intention de te léguer après mon décès... — Hein ? grimace Clodobert qui n'a rien compris à ce que vient de dire son père. — Oui, un jour, tu hériteras de ma fortune et... — For-quoi ? Héri-quoi ? Ça veut dire quoi ? — Quoi quoi quoi ? Tu fais l'imbécile ou quoi ? Tu es le fils de l'homme le plus riche du pays et tu ne connais pas le mot « fortune ni le mot « hériter » ? s'étonne Jean-Claude en tendant à Clodobert un dictionnaire relié plein cuir. Clodobert considère le lourd volume, le retourne, le soupèse... — Hé bien vas-y : "fortune" "hériter", cherche ! s'impatiente le père. Clodobert n'a jamais vu un dictionnaire de sa vie. Il l'ouvre à l'envers, tourne les pages dans un sens, dans l'autre, sans savoir quoi faire... Jean-Claude fronce les sourcils : — Tu sais lire ? Clodobert regarde une mouche qui vole, de ci de là, parmi les gros coffres d'acier : — Bof... Pas tellement... Stupéfait, Jean-Claude pointe le doigt sur la première lettre, écrite en haut de la page numéro I : — Qu'est-ce qui est marqué, là ? — Euh... bredouille Clodobert, gêné... — Non ! Sûrement pas " E ", non ! Clodobert baisse le nez : il ne sait même pas lire " A ". Et son père découvre ce soir-là, qu'il ne sait pas non plus écrire son nom, ni faire la moindre opération.