Extrait du livre La rumeur
La rumeur De Véronique Cauchy et Aude Brisson Editions Kilowatt
La rumeur
1. – Samuel ! Viens, il faut qu’on parle. Plongé dans ma collection de Pokémons, je peine à lever un œil. – Samueeeeel ! – J’arrive, m’man. À contrecœur, je laisse Brindibou et Félinferno, mes nouveaux amis.
– Samuel, ça y est, on t’a inscrit en colonie de vacances. – Hein ? Quand ça ? Mais pourquoi ? – Tu pars dans trois semaines pour un séjour de quinze jours dans le Vercors organisé par la mairie. Tu vas te faire plein de copains ! Je rêve ou ma mère veut se débarrasser de moi ? – J’espère que ça te fait plaisir, c’était inespéré d’obtenir une place à la dernière minute ! Les enfants aiment tellement cette colo qu’elle est complète d’une année sur l’autre. Moi qui rêvais de rester tranquillement à la maison et de faire la grasse matinée… – Je sais que c’est nouveau pour toi, mais le grand air et la vie en collectivité, ça va te changer les idées. Il y aura des parcours d’accrobranche et même de l’escalade ! Tu vas bien t’amuser.
Des souvenirs de petits cailloux et de bottes de sept lieues me reviennent… Ma mère n’en a pas fini avec les réjouissances : – Et cet été, cerise sur le gâteau, l’accompagnateur n’est autre que… Hervé, notre voisin ! Cette espèce d’ogre ? C’est officiel : me voilà dans le rôle du Petit Poucet ! Je hurle : – NOTRE VOISIN HERVÉ ? Ma réaction fait sursauter ma mère, qui pousse un cri horrible, comme si un type s’apprêtait à me scalper. – Samuel, j’ai failli avoir une attaque ! – Et moi, tu crois que je suis dans quel état ? Je vois bien que ma remarque la laisse perplexe, alors je développe : – Je n’ai pas envie de partir crapahuter dans la montagne, je ne suis pas une chèvre ! – Je m’attendais à un minimum d’intérêt de ta part. Des vacances, ça ne se refuse pas, quand même ! – Avec un détraqué, merci du cadeau ! Ma mère, de plus en plus perdue, hausse les sourcils jusqu’à la racine des cheveux. – Ben oui, un type qui torture les chats, moi, j’appelle ça un détraqué. Qui sait ce qu’il fera aux enfants sans défense qu’il aura sous la main pendant quinze jours ? – Hervé qui torture les chats ? Bien essayé, mais je ne marche pas. – Pourtant, c’est la vérité vraie : je l’ai vu faire. Et toc. Maman ouvre la bouche et la referme aussitôt, exactement comme notre poisson rouge, celui qui tourne en rond dans son bocal sur le frigo, sauf qu’elle, elle tourne les talons direction l’atelier de papa. Ma petite bombe a fait son effet. Pikachu, me revoilà !
2. Les jours suivants, ignorant ma remarque à propos du voisin, mes parents me tannent pour que je fasse ma valise. Le temps presse, et la solution à mon épineux problème est aussi dure à trouver qu’une épingle dans une botte de foin. Ding, dong ! La chance frapperait-elle à ma porte ? Il ne faut pas rêver : ce n’est que mon copain Marin et sa petite sœur Clarisse, qui habitent l’impasse d’à côté. – T’en fais une tête ! me dit Marin. – Tu ferais la même si tu devais partir quinze jours en colo avec un tueur de chats ! Marin et Clarisse se jettent des regards affolés. Le temps de leur expliquer la situation et de leur raconter ce que je sais d’Hervé, je les vois se décomposer. – Tu es sûr, pour ton voisin ? interroge Marin. Pris dans mon élan, j’en rajoute un peu : – Je l’ai vu, de mes yeux vu. Son jardin est collé au nôtre, rien ne peut m’échapper. Il a pris un chat et l’a balancé, comme ça, sans raison… En plus, il ne leur donne que des aliments pourris pour les faire crever. Ça pue
la mort, mais comme ils n’ont rien d’autre, ses chats mangent quand même ! Après, le voisin se marre quand les pauvres bestioles se tordent de douleur. – Mais… nous aussi, on y va, à cette colo ! lâche Clarisse, au bord des larmes. Et bam ! C’est trop beau ! Je suis tombé pile poil sur les bonnes personnes. J’ai bien fait de vider mon sac. – Qu’est-ce qu’on va faire ? se lamente Marin. Mes deux amis rentrent chez eux dépités, affolés par ce qu’ils viennent d’entendre. Je ne suis plus le seul à redouter la colonie, c’est déjà ça.