Extrait du livre Ni lire, ni écrire !
Ni lire, ni écrire ! Yves-Marie Clément & Emilie Vanvolsem
Zoé Le dernier jour de CP aurait pu être le plus beau jour de ma vie. Toute l'année, j'avais travaillé à l'école, fait des efforts pour apprendre à lire et à écrire. Mais ça ne rentrait pas. Pour moi, les lettres, les mots, les phrases restaient de grands mystères, comme les hiéroglyphes égyptiens. Les autres dans la classe y arrivaient. Mais pas moi.
Pourtant, le maître n'était pas trop inquiet. Il me rassurait souvent : - Ça va venir, tu verras. Bientôt tu sauras lire. Ce jour-là, je suis allée à la bibliothèque de l'école avec Julie, ma meilleure copine. J'ai choisi un album. Je l'ai ouvert et tout s'est éclairé, je me suis mise à lire, d'un seul coup. J'ai lu un premier mot, un deuxième, et les phrases. Je savais lire ! Un vrai miracle ! J'ai relu l'album trois fois. Puis j'en ai pris un deuxième, un troisième. Et c'était l'heure de la cantine. Le soir, en rentrant à la maison, j'ai dit à papa : - Je sais lire ! Trois mots : " Je - sais - lire ". Et papa s'est mis à pleurer. Des petites larmes ont coulé sur sa joue. Ça m'a fait tout drôle. Je n'avais encore jamais vu mon papa pleurer. Mais c'était des larmes de joie... Je ne pensais pas que je lui ferais autant plaisir ! Il m'a serrée contre lui. Il m'a fait un câlin. J'ai fermé les yeux. - Ça mérite un beau cadeau, ma chérie. Dis-moi ce que tu veux ! - Ce que je veux ? Il a fait " oui " de la tête. Je n'ai pas eu à réfléchir : - Je voudrais un livre. Alors, le visage de papa a changé. Il s'est frotté le bout du nez et il m'a répondu : - C'est d'accord ! Tu iras l'acheter la semaine prochaine, avec maman. - Non ! - Ou bien avec mamie. Elle adore t'emmener à la librairie. Et puis tu sais bien qu'elle aime te faire des cadeaux.
- Non, avec toi ! Papa a bougonné. Je savais qu'il n'aimait pas la librairie. Mais aujourd'hui n'était pas un jour comme les autres. Papa a enfilé sa veste. Il a vérifié que son portefeuille se trouvait bien dans sa poche. Et il m'a emmenée à la librairie. Cédric, le papa de Zoé J'étais si fier, Zoé savait lire et pourtant, je peux dire sans mentir... que ça a été le pire jour de ma vie. Zoé voulait son livre. Et elle avait tellement insisté pour que je l'emmène à la librairie que j'ai dit " oui ", en me disant que de toute façon, je ne risquais pas grand-chose. C'est moi qui ai poussé la porte de la
boutique. La petite sonnette a tinté, et la libraire a relevé la tête, avec son grand sourire. - Bonjour monsieur, bonjour Zoé. - Bonjour, avons-nous répondu en choeur. Après, tout s'est bien passé. On est monté à l'étage, direction le rayon des albums pour les enfants. Et là, j'ai dit à Zoé : - Choisis celui qui te fait le plus plaisir ! Zoé avait sa petite idée derrière la tête. Ça faisait longtemps qu'elle avait repéré un bel album très coloré, avec une girafe sur la couverture. Zoé, elle aime les animaux. Elle m'a donné le livre. - Tiens, celui-là. Je lui ai fait un bisou sur le front et on est redescendu pour payer. Zoé était toute contente, et moi aussi. Sa petite copine Julie était justement là. Évidemment, Zoé s'est empressée de lui montrer son cadeau, le livre avec une girafe sur la couverture. - Oh, c'est " Juliette la Girafe ". Je l'adore cet album, a dit Julie. Pendant que les deux copines papotaient, j'ai sorti mon portefeuille de ma poche, et c'est là que tout a basculé. - On organise un petit concours, monsieur, m'a dit la libraire. - Un concours ? - Oui, c'est gratuit, ça ne vous engage à rien. Et il y a de beaux lots de livres à gagner. Tenez... Elle m'a donné une feuille et un stylo. - Vous n'avez qu'à remplir. Ma tête a tourné. Comme quand on est sur un bateau dans la tempête. J'ai pris le stylo, la feuille. Ma main a tremblé. - C'est gentil, ai-je dit. Mais on n'a pas trop le temps.
- Oh, papa ! La libraire a insisté : - Allez, monsieur. Il y a de beaux livres à gagner. Et je suis sûre que Zoé... J'ai baissé la tête. J'ai senti la chaleur monter le long de mon cou, se répandre sous la peau de mon visage. - Papa, ça ne va pas ? m'a demandé Zoé. Tu es tout rouge. Je ne savais plus quoi faire. Alors, j'ai pris la feuille du concours, j'ai fait semblant de lire. - Je ne sais pas... Puis les mots se sont bloqués dans ma gorge. Et c'est la libraire qui a terminé ma phrase : - Vous... vous ne savez pas lire ?